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Henry Roth : La Fin de l’exil (24/11/2013)

henry rothHenry Roth (1906-1995) est un écrivain américain. Né en Europe centrale, il émigre vers les États-Unis à l'âge de trois ans avec sa famille et passe son enfance au sein de la communauté juive de New York. Son premier roman, L'Or de la terre promise, publié en 1934 passe inaperçu. Henry Roth laisse alors de côté ses ambitions littéraires et épouse, en 1939, Muriel Parker, fille d'un pasteur baptiste et pianiste qui renoncera à sa carrière pour l'accompagner dans l'État du Maine où il exerce plusieurs métiers (garde forestier, infirmier dans un hôpital psychiatrique, aide plombier…). Henry Roth sombre dans une dépression chronique. C'est en 1964, soit trente ans après, que L'Or de la terre promise est réédité et vendu à plus d'un million d'exemplaires. Ce succès inattendu convainc l'auteur de se remettre à écrire. En 1994, soixante ans après la publication de son premier roman, A la merci d'un courant violent sort en librairie, premier volume d’une autobiographie qui en comprendra cinq, Un rocher sur l’Hudson, La Fin de l’exil, Requiem pour Harlem et enfin Un Américain, un vrai. Initialement prévue en six tomes, l’œuvre d’Henry Roth restera inachevée.

Ce troisième volet est paru en France en 1998 et nous y retrouvons Ira Stigman alias Henry Roth, au milieu du New York des années 1920 alors qu’il a une vingtaine d’années, toujours et encore tourmenté par sa sexualité, étonné par sa propre personnalité, se considérant comme étranger parmi les humains et devant ruser pour se donner une apparence « normale » vis-à-vis des autres.

S’il ne couche plus avec sa sœur Minnie, ce n’est pas pour retrouver le chemin de la morale mais parce que celle-ci sort désormais avec des garçons. Du coup il se contente de sa cousine Stella les lundis, lors de rapports sexuels qui en viennent à être drôles pour le lecteur – toute question morale mise à part – Ira se tapant Stella vite fait dans une pièce pendant que les deux parents âgés de la jeune fille sont occupés dans une autre ! De leur côté, Larry et Edith évoluent. Son ami, après avoir tâté de la poésie et de la sculpture, se tourne maintenant vers le théâtre, cherchant sa voie artistique. Edith, sa maîtresse plus âgée, maître assistant de littérature, après avoir guidé le jeune homme doute désormais de sa capacité à entrer dans cet univers intellectuel.

Des rapports complexes entre les personnages vont se créer. Ira devient le confident d’Edith qui lentement se détache de Larry, pas très performant au lit, entretenant une liaison parallèle avec Lewlyn un homme marié. Entre ces deux couples, Ira bouche cousue, tient la chandelle tout en se sentant irrémédiablement attiré par Edith qui par de petits signes amicaux alimente ses troubles sentiments. Entre sa vie personnelle faite de sexe honteux, « sa maudite libido dénaturée », et celle de ses amis faite de rapports mensongers, Ira Stigman se débat comme un beau diable pour ne nuire à aucun tout en cherchant à se placer au mieux dans les grâces d’Edith mais il est là en terrain mal connu ; Edith est une femme, expérimentée qui plus est, alors qu’Ira n’a jamais connu que des gamines ou au pire des prostituées.

Comme dans les précédents volumes, la forme narrative adoptée par Henry Roth reste la même, au cœur du roman se greffent des inserts, bribes de textes où l’écrivain de 89 ans décrit ses souffrances physiques liées à sa polyarthrite ou anticipe sur l’avenir du récit. Ainsi, le lecteur est clairement informé qu’Ira et Edith auront une relation intime mais quand le roman s’achève, la jeune femme et Lewlyn son amant sont en train de se séparer et Ira est à deux doigts de conclure.  

Si le sexe est omniprésent dans les pensées d’Ira, la littérature s’impose de plus en plus en lui comme une échappatoire à sa condition. Alors que chez Larry elle était une attitude ou un souhait, pour Ira elle est une nécessité profonde qui lentement s’impose avec la complicité d’Edith lui révélant Joyce (nombreuses digressions très intéressantes) et TS Eliot, pour l’éveil intellectuel, et la sensualité bientôt, pour le sexe adulte. La fin de l’exil, le début de la vraie vie ? Le prochain volet devrait nous le confirmer…

Je tiens néanmoins à préciser que j’ai trouvé ce troisième épisode, moins puissant que les deux précédents, comme une pause au milieu de l’étalage des révélations intimes et du cheminement intellectuel vers l’écrivain en devenir.

 

« Putain ! Le scabreux, le sordide, la perversité et la misère, en regard de n’importe lequel des personnages d’Ulysse, il en avait à revendre, à surprendre, à se pendre. Mais le langage, oui le langage pouvait métamorphoser comme par magie l’ignominie de sa vie et de ses pensées en précieuse littérature, en cet Ulysse tant vanté. Il pouvait le libérer de son exil dépravé, de son esclavage inaltérable. La sensibilité et la volonté, mis sous forme de langage, venaient facilement à bout du silence, de l’exil et du mensonge. »

 

 

henry rothHenry Roth  La Fin de l’exil  Editions de l’Olivier

Traduit de l’américain par Michel Lederer

13:41 | Tags : henry roth | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |