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Mon plus vieux souvenir de lecture (13/05/2016)

Quand je cherche à me souvenir du premier livre que j’ai lu, et je parle des livres qui se lisent, non de ceux avec des images qu’on déchiffre à la maternelle, deux situations fortes me reviennent spontanément à la mémoire. Dans les deux cas, nous sommes à la fin des années cinquante et je n’ai pas dix ans, peut-être huit.

Je suis à l’école et le maître en blouse grise nous a demandé de sortir nos livres de lecture. Mon bouquin est rangé dans le casier de mon pupitre en bois. Sur le tableau noir derrière lui, le professeur a inscrit à la craie blanche, le nom du texte et l’auteur. Jean-Christophe de Romain Rolland. Dans sa totalité, Jean-Christophe est un roman fleuve d’une dizaine de tomes, dans notre livre de classe on n’y trouvait qu’un passage tiré de L’Aube, le début de l’ouvrage. Nous ouvrons nos livres à la page indiquée et le maître, désignant un élève, lui demande d’en lire quelques lignes, puis un second poursuit la lecture et ainsi de suite.

« Louisa servait les petits : deux pommes de terre à chacun. Lorsque venait le tour de Christophe, souvent il n’en restait que trois sur l’assiette, et sa mère n’était pas servie. Il le savait d’avance, il les avait comptées, avant qu’elles arrivent à lui. Alors il rassemblait son courage, et d’un air dégagé : – Rien qu’une, maman. Elle s’inquiétait un peu. – Deux, comme les autres. – Non, je t’en prie, une seule. – Est-ce que tu n’as pas faim ? – Non, je n’ai pas grand’ faim. » Et l’auteur de poursuivre ainsi sur une page ou deux, la description de la connivence muette et tendre entre la mère et l’enfant.

Ce texte nous l’avons lu et relu durant plusieurs jours et chaque fois, la même émotion me brisait, chaque fois les larmes me venaient aux yeux et je me hâtais de les sécher au cas où le sort me désigne pour la lecture. J’avais l’âge de Jean-Christophe peut-être, en tout cas sachant lire couramment, je pouvais appréhender le texte sans être contrarié par les embûches grammaticales ou le déchiffrage des mots. Passé le stade du décryptage, j’étais entré dans le plaisir de la lecture et des émotions induites. Ah, ce plat de pommes de terre, pas assez nombreuses pour nourrir toute la famille réunie autour de la table, je l’ai gardé en mémoire toute ma vie. Et aujourd’hui encore, tandis que je mets par écrit ce souvenir, j’en ai toujours le goût salé par les pleurs muets, en bouche. 

Dieu merci, je vous rassure, j’ai aussi un souvenir plus gai ! A cette même époque, nous sommes en vacances en Bretagne, un petit bled (en ce temps-là) qui se nomme Scaër, proche de Rosporden. Une bibliothèque municipale, faite d’une toute petite pièce avec quelques étagères et pas beaucoup plus de livres, toute la famille vient y emprunter de quoi lire le soir – la télé n’étant pas encore implantée partout. C’est ici que je découvre Antoine de romain rolland, Saint-Exupéry avec Vol de nuit et Courrier sud, de l’aventure réelle qui ne pouvait qu’émerveiller le petit garçon que j’étais alors et dans le genre fiction, celui qui sera mon premier héros, Bob Morane. Nous parlons ici du Bob Morane des romans, créé en décembre 1953 par le romancier belge Henri Vernes, pour la collection de poche « Marabout Junior ». Bob Morane et son copain Bill Ballantine, le gros costaud, moi et mon père en étions dingues, nous avons passé notre mois de vacances à bouquiner tout le stock local.

Après, le pli était pris, la lecture m’avait déjà enseigné qu’elle était source de joies et de peines consenties, je n’avais plus qu’à piocher dans la grande bibliothèque mondiale et presque soixante ans après, je n’en ai pas encore épuisé toutes les richesses.

Et vous, quel est votre plus ancien souvenir de lecture ?

 

07:00 | Tags : romain rolland | Lien permanent | Commentaires (13) |  Facebook |