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Sándor Márai : Divorce à Buda (04/12/2017)

sándor máraiSándor Márai (de son vrai nom Sándor Grosschmied de Mára) né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux Etats-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil qui le mènera de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Divorce à Buda date de 1935.

Un soir très tard, Imre Greiner, médecin, se présente au domicile de Krystof Kömives, le juge chargé d’instruire le dossier de son divorce avec Anna son épouse, et déclare : « L’audience ne peut avoir lieu demain parce que cet après-midi j’ai tué ma femme. »

Le roman est construit en deux parties, la première et la plus longue campe la silhouette du juge Kömives, son origine sociale et sa famille, son parcours depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, son mariage avec Herta et leurs deux enfants, sa carrière professionnelle. Tout ce passé permet à l’écrivain de dresser un portrait psychologique pointu de l’homme, « Trop correct, trop formaliste » selon son supérieur et investi d’une mission claire, « elle consistait à sauvegarder et à conserver », c'est-à-dire « sauver et éduquer la société. »

La seconde partie, et nous en venons au cœur de l’affaire, ressemble vaguement dans la forme à un autre roman de l’écrivain, Les Braises, où deux hommes discutent toute une nuit, dans un huis-clos pesant et lourd de sens. A cette différence près qu’il s’agit ici, non pas d’une discussion mais plutôt d’un long monologue de Greiner. Et à mon humble avis, c’est ici moins réussi même si ce roman est bon.

La situation prend rapidement un tour plus épais quand le lecteur découvre petit à petit, que les deux hommes se sont un peu connus à l’époque où ils faisaient leurs études et qu’ils ne s’étaient plus revus depuis, mais surtout, que le juge a croisé jadis Anna avant qu’elle épouse Greiner. Et c’est ce point crucial que le médecin veut éclaircir avant le lever du jour, quels étaient/quels sont les sentiments de Kömives pour Anna ? Car s’il est certain que sa femme l’a aimé, Greiner sait aussi que son épouse était restée attachée au juge. Cette révélation tardive va ébranler Kömives et soulever des questions sur l’ambivalence des sentiments, la réalité de l’amour total.

L’écrivain greffe son histoire sur une vision critique de la bourgeoisie de son époque et plus largement, sur la crise de la société (« les dossiers qu’il consultait témoignaient de la putréfaction de la famille, dévoilant entre leurs lignes, la « crise » générale de la société… »). Le vieux monde s’effondre, un autre va lui succéder, la longue nuit s’achève, le jour se lève, le juge Kömives « veut croire en ce monde visible et aussi en l’autre, qu’il ne connait pas. »

Un bon roman, un de plus pour cet écrivain que j’invite chaudement tous ceux qui ne l’ont jamais lu, à découvrir au plus vite.

 

«C’est que, déjà, une fermentation des esprits s’amorçait dans les profondeurs de la nouvelle génération, un vague mécontentement grondait, qui cherchait à s’exprimer par des mots d’ordre et des slogans ; les jeunes de cette grande famille se rencontraient au bord de l’abîme qu’incarnaient les extrêmes politiques, mais ils avaient en commun une conviction : la génération qui avait précédé la leur n’était plus capable de maîtriser le mécontentement social par ses méthodes révolues et pieusement charitables. Dans les profondeurs comme dans les hauteurs, aux étages des immeubles où se trouvaient leurs appartements bourgeois, les jeunes de la nouvelle génération préparaient quelque chose. Par tous ses pores Kömives le sentait – et il savait aussi qu’il n’appartenait plus à cette jeunesse. » 

 

sándor máraiSándor Márai Divorce à Buda  Le Livre de Poche – 247 pages –

Traduit du hongrois par Georges Kassai et Zéno Bianu

 

07:55 | Tags : sándor márai | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook |