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John Edgar Wideman : Deux villes (21/06/2018)

John Edgar Wideman, Catherine NedonchelleJohn Edgar Wideman est un écrivain Afro-américain, né en 1941 à Washington mais c’est à Homewood, un des ghettos noirs de Pittsburgh, en Pennsylvanie, où sa famille est installée depuis plusieurs générations qu’il passe son enfance. Excellent élève et très bon joueur de basket-ball, ce sport lui servira de ticket d'entrée à l'université et en 1959 il intègre l'Université de Pennsylvanie à Philadelphie. En 1965, il épouse une femme blanche, Judith Ann Goldman, avocat, avec qui il a trois enfants. En 2000, il divorce de Judith Goldman et se remarie, en 2004, avec l'auteure française Catherine Nedonchelle. En 1994, son deuxième fils Jacob est condamné à la prison à vie pour meurtre. Considéré comme un des grands écrivains américains contemporains, sa carrière est marquée par sa fulgurance et sa réussite exceptionnelle couronnée de multiples prix prestigieux. Son roman, Deux villes (1998) vient d’être réédité.

Livre difficilement résumable comme on va le voir plus loin, mais disons pour en faire une approche minimale qu’il s’agit d’un roman éclaté, roman choral où les intervenants, Kassima, Monsieur Mallory et Robert Jones vont nous faire ressentir – dans la mesure du possible – leurs conditions de vie ou ce que c’est que d’être un Noir, à Philadelphie ou Pittsburg : les guerres de gangs qui tuent vos enfants, les flics, le racisme (« La haine des mecs blancs pour les Noirs c’est pas nouveau. Quand il s’agit du péril noir tous les blancos du monde parlent la même langue »)… Mais trois voix qui disent, chacune à leur manière, qu’on peut s’en tirer ou du moins qu’on doit résister.

Rapide esquisse des trois acteurs : Kassima, son mari est mort du sida et ses deux fils ont été assassinés, pourtant une volonté farouche l’anime, elle survivra car elle le veut, « Après la mort de mes fils et celle de leur papa j’ai décidé que je voulais continuer à vivre. » Monsieur Mallory, vieil homme malade, il loge dans une pièce de la maison de Kassima ; photographe, il archive la mémoire de son peuple, dans le roman il représente une sorte de sage. Robert Jones, la cinquantaine, il pourrait être l’homme d’un nouveau départ pour Kassima, encore faudrait-il qu’il renonce à jouer les malins dans ce ghetto régi pas la loi des gangs, « Je t’aime, mon loup. Je t’aime, je t’aime, je t’aime. Mais je suis incapable d’aimer encore un autre mort » le prévient-elle.

Les récits des uns et des autres s’entremêlent, les époques et les lieux varient Philadelphie/Pittsburg mais aussi un magnifique chapitre en Italie où Mallory a fait la guerre. L’entame du bouquin est franchement complexe à lire, dans ce style très afro-américain où l’écriture se fait rap revendicateur, tenez-bon ça s’arrange ensuite. Ca reste pourtant un signal fort qui se confirmera jusqu’à la fin, John Edgar Wideman est un grand écrivain, quel style ! Je pourrais même écrire quels styles ! Car selon les situations ou les voix qui s’expriment, l’écriture diffère, le rap du début se fera écriture lyrique d’un grand classicisme durant l’épisode italien, à moins que ce chant choral ne soit un blues sublime au fil d’autres pages.

Alors certes, le déroulé du récit n’est pas toujours évident à suivre (réflexion à l’intention des lecteurs néophytes) mais voilà un sacrément bon bouquin de vraie littérature qui lorsqu’on y entre vous choppe et ne vous lâche plus tant il est émouvant.     

 

« Je haïssais en moi la suppliante. Et la coupable. Et la souffrante. Mes fils morts ce fut comme si je ne m’aimais plus du tout. Si je continuais à tout voir en noir je me dégoûterais tellement de moi-même que j’en crèverais. Il fallait absolument que je m’accorde le bénéfice du doute. Je me suis relevée. J’ai arrêté de me demander pourquoi. Il ne pouvait pas y avoir de pourquoi. En tout cas aucun que je comprenne. Et même si je pouvais savoir, à quoi bon. Ca ne me ramènerait pas mes fils. Je me suis dit : Sors-toi donc de ce lit. Prépare-toi un hot-dog peigne ta tignasse lis ta Bible nettoie l’évier ou astique-toi le bouton. Profite de ce qui reste. Prends-le. Et estime-toi heureuse qu’il en reste encore. Apprécie. Et, oui, j’avais bel et bien envie de vivre ; même si le monde s’écroulait autour de moi. »

 

John Edgar Wideman, Catherine NedonchelleJohn Edgar Wideman  Deux villes  L’Imaginaire Gallimard – 278 pages –

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Richard

 

 

 

 

 

« Dans un studio de fortune, à peu près à l’époque où il est né, Bessie Smith, l’Impératrice du Blues, improvise l’accompagnement d’un dernier filage de « Backwater Blues » » [p.229]

07:43 | Tags : john edgar wideman, catherine nedonchelle | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook |