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Julien Suaudeau : Le Français

julien suaudeauJulien Suaudeau, né en 1975, a grandi à Evreux, fait Sciences-Po et fréquenté les salles de boxe de nos banlieues. Il vit aux États-Unis depuis 2006 après avoir travaillé en Belgique et en Azerbaïdjan, réalisé des films… Aujourd'hui, il enseigne le français dans une High-school du New Jersey. Son premier roman, Dawa, paru l’an dernier, avait été une belle claque ; son nouvel opus, Le Français, vient de sortir en librairie et c’est une fois encore une belle surprise.

Surprise à plus d’un titre. Parce qu’il est à nouveau question du djihad et que je ne m’attendais pas à ce que ce même sujet soit repris dans son second roman ; parce qu’après le pavé de cinq cents pages, je me suis étonné de recevoir de l’éditeur un bouquin de deux cents pages seulement ; parce qu’enfin, Julien Suaudeau a complètement changé de style d’écriture, on le constate après quelques pages à peine.

Le narrateur, Français blond aux yeux bleus d’une vingtaine d’années, vit à Evreux. Une vie morne et terne qui par un enchainement de circonstances, va l’entrainer à Bamako au Mali, puis en Syrie, pantin d’un djihad tragique et itinéraire d’un enfant gâché. 

Avec ce second roman, Julien Suaudeau affirme nettement son talent d’écrivain. Si Dawa donnait un aspect journaliste en immersion à son épopée terroriste, beaucoup de détails et une intrigue en mode thriller d’excellente qualité au demeurant, Le Français joue dans une autre catégorie. L’écrivain adopte un style plus mûr, plus littéraire dans le sens noble du terme, l’écriture est très belle, le récit est plus ramassé, avec des ellipses et beaucoup moins de détails. Un récit plus intimiste, plus subtile aussi.

L’auteur s’attache à la psychologie de son personnage central, cette zone floue où l’esprit déraille et se perd, rêve éveillé déformant la réalité, et tente non pas d’expliquer mais de nous faire toucher du doigt ce qui peut motiver un jeune Français (Occidental non musulman) à se retrouver embringué dans une colonne djihadiste et perpétuer des meurtres ignobles. Le narrateur, malgré ses actes, n’est jamais vraiment antipathique, ce qui dérange profondément le lecteur et signe la réussite de l’écrivain. Car là, est le but de l’auteur, montrer une révolte compréhensible empruntant une voie qui l’est moins.

La révolte, c’est celle de ces jeunes de tous horizons ou origines sociales, déboussolés devant ce monde vide de repères tangibles, n’offrant aucun avenir ou perspectives fortes et trouvant dans le djihad, non pas un but mais une voie de sortie. Car il n’est pas question de religion ici, « Vous me parlez de Dieu, mais je ne vois que des hommes », juste un moyen pour être, ne serait-ce que quelque temps. Au final, on peut dire que ce roman n’est pas le procès du djihadisme mais celui de notre société qui par ses injustices multiples a créé de toute pièce son pire ennemi.

Un superbe roman qui confirme le talent de Julien Suaudeau.  

 

« Ali m’a regardé dans les yeux et il a repris : « Il n’y a pas qu’une seule vie. Il y a d’autres pays, et d’autres voies. » C’était la première fois que je voyais son regard en face. « Mais tout le monde n’est pas fait pour vivre libre. Regarde-moi : on s’habitue à vivre mal. » Je lui ai dit qu’il pouvait changer de travail s’il n’aimait pas l’entrepôt. « Ce n’est pas le travail, fils. Le travail, c’est le travail, n’importe où. C’est l’impossibilité d’être un homme. De se lever sans peur, de vivre sans regret, de se coucher sans honte. Les gens comme nous n’ont pas le droit de vivre comme des hommes. »

 

 

julien suaudeauJulien Suaudeau  Le Français  Robert Laffont  - 211 pages –

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Julien Suaudeau : Dawa

Julien SuaudeauJulien Suaudeau, né en 1975, vit à Philadelphie et c’est tout ce que j’ai pu récolter sur sa biographie. Dawa est son premier roman.

« Dans une France post-républicaine, en proie au vertige identitaire et aux marchandages politiques, deux hommes sombres poursuivent une vengeance au long cours, l'un derrière l'illusion du djihad, l'autre sous le masque de la loi. Autour d'eux, au cœur de l'Etat ou sur les dalles de la banlieue parisienne, la violence de leur idée fixe va renverser le destin d'inconnus, sans épargner ceux qu'ils aiment. » Ou bien, pour le dire avec mes mots, il s’agit pour les autorités de contrer la menace d’un attentat terroriste de grande ampleur visant le cœur de Paris, avec d’un côté un responsable de la DGSI voulant venger la mort de ses parents tués par le FLN au début des années 60, détournant « au bénéfice d’une vendetta privée, le pouvoir et les moyens qui lui sont dévolus dans le cadre de ses fonctions » et de l’autre, le fils d’un important membre du FLN qui s’est juré « de meurtrir ce pays qui avait tué Kader » son frère.

Julien Suaudeau nous offre un polar sociopolitique qui ne manque pas d’atouts dont le premier, et non des moindre, est de le rendre particulièrement actuel puisqu’il se déroule à quelques semaines des élections municipales de 2014 ! Climat politique pour le décor, mêlant des portraits saisissants de personnalités politiques réelles mais non citées et des personnages de roman très crédibles occupant des fonctions ministérielles ou de l’administration ainsi que des journalistes. Ambitions, pouvoir, combines ou concessions, le Qatar qui finance la droite comme la gauche, rancunes, j’avoue que cet angle du bouquin m’a particulièrement emballé, j’avais l’impression de lire Le Canard enchaîné ou une enquête d’un magazine d’information. Julien Suaudeau dresse un état des lieux assez noir de la société française.

L’écrivain sait aussi nous entrainer au cœur des cités, où Blacks, Blancs, Beurs font leur bizness comme ils peuvent. Des parkings à la mosquée, des salles de boxe aux couloirs du RER, nous traversons la capitale et ses banlieues. Des costards-cravates aux sweatshirts à capuche, Julien Suaudeau parait connaitre sur le bout des doigts tous les milieux, tous les codes et leur langage. Qu’on soit autour d’une table avec ministres et fonctionnaire lors d’une cellule de crise ou bien au fond d’une cave entre Rebeus et Renois, l’auteur est chez lui partout, Comédie humaine d’aujourd’hui, le roman décrit avec brio la psychologie des acteurs et les lieux où ils évoluent. Mais, et c’est là son unique défaut, à vouloir faire son Balzac en un seul volume, la masse d’évènements et de personnages en font un roman trop long à mon goût – surchargé, pas assez dégraissé, le piège du premier roman ? Je sais que je me répète avec ces romans que je trouve souvent trop longs, mais pour moi c’est réellement la plaie principale de la littérature.

Julien Suaudeau écrit bien, de ce genre d’écriture qui prend son temps, loin du style énervé ou énergique cher à certains polars d’action. Ici la psychologie des uns et des autres est le tronc sur lequel sont greffées les ramifications narratives. Son domaine de connaissances est vaste, de la langue arabe aux arcanes du pouvoir, ponctuant son récit d’analyses géopolitiques ou de références diverses à l’Histoire récente. Polar ou thriller mais empreint d’un certain romantisme qui agace un peu parfois quand les motivations du terroriste complaisamment exposées – « Je voudrais accomplir quelque chose de grand par ma mort, qui prouvera à tous ces gens que je n’étais pas rien » - laissent un goût amer qui n’est pas dissipé par celles du représentant de la République - « Je vivrai pour te tuer, et j’aimerai le seul jour de ta mort » - qui renvoient dos à dos, les deux camps puisqu’ils se font chacun une idée toute personnelle de la justice.  

Concluons, un bon roman plein de bonnes choses mais avec des longueurs… et une interrogation restant sans réponse, pourquoi page 471, évoquer le vendredi 13 mars alors qu’à cette date (qui en passant est aussi la date de parution du bouquin !) nous serons un jeudi ?

 

« Je pense que le problème de ce pays n’est pas de nature culturelle ou idéologique, mais sociale. Vous avez parfaitement le droit d’avoir une vision magique du monde et d’être convaincue, à l’image de tous vos collègues, que tout ira mieux lorsque vous serez aux affaires. La réalité, dont les gens comme moi ont le devoir de se préoccuper, c’est que les choses continueront à se dégrader, drones américains contre djihadistes, tant que dix à vingt pour cent des Français croupiront dans un état de misère morale et économique. Il n’y a pas de guerre des civilisations, d’islam contre les valeurs occidentales. Il n’y a que des pauvres, des culs-terreux au front épais et à gamelle creuse, dont la religiosité est un réflexe de fierté infantile, une tentative de reconquête de soi face à un consumérisme qu’ils identifient aux Etats-Unis et à Israël, parce qu’ils continuent à s’appauvrir pendant que la rente engraisse. Vous pouvez rire, mais croyez-vous que les talibans existeraient si le PIB des zones tribales était dix fois supérieur à ce qu’il est ? Eduquez-les, soignez-les, occupez-les, vous ne rencontrerez plus beaucoup de candidats au martyre ou à l’émeute. »

 

Julien Suaudeau  Dawa  Robert Laffont – 492 pages – (Parution prévue le 13 mars 2014)

 

Article de l'écrivain paru dans Libération en janvier dernier : ICI

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09/03/2014 | Lien permanent

Roland Dubillard : Confessions d’un fumeur de tabac français

1211 Dubillard Livre.jpgRoland Dubillard (1923-2011) est un écrivain, dramaturge et comédien français. En 1987 il est victime d’un accident vasculaire cérébral, à la suite duquel il devient hémiplégique. Son œuvre littéraire couvre un large domaine, des pièces de théâtre dont les fameux Diablogues, des nouvelles, des recueils de poésies, quelques essais et un journal intime. Son essai Confessions d’un fumeur de tabac français, date de 1974.

Evitons tout malentendu, ce court ouvrage d’une centaine de pages, n’est pas un manuel prophylactique pour lutter contre le tabagisme ! Pourtant l’idée de départ, consiste pour l’écrivain à écrire un journal quotidien dans lequel il inscrira les phases par lesquelles il va passer durant sa période de sevrage. Noter ses angoisses, ses doutes, ses succès et ses rechutes. 

La première moitié du livre se présente effectivement comme un journal intime se déroulant sur quatorze journées, suivie par une seconde partie qui est un texte d’une seule traite. Entre quelques réflexions classiques sur les habitudes, gestes et mentalité, du fumeur type, Roland Dubillard se laisse aller à des divagations intellectuelles où il se joue des mots et des idées.

Le désir de la cigarette se trouve comparé au désir pour la femme, ce qui amène l’écrivain à faire intervenir une certaine Béatrice dans les pensées du fumeur en cours de repentir, « Une cigarette aussi belle que Béatrice, personne n’aurait osé l’allumer. » Pour autant ce désir n’est qu’intellectuel, une vue de l’esprit, un jeu avec les mots, « j’ai cru pouvoir en prendre possession par les mots », une possession illusoire comme l’avoue le narrateur.   

Le texte court de l’une à l’autre, de la femme à la cigarette et l’inverse. Intimité certaine avec l’une (la cigarette), évoquée ou éventuelle avec l’autre (la femme) mais dont le lecteur et même l’auteur ne sait pas trop ce qu’il en ferait si devait arriver ce qui doit arriver dans une vraie vie, puisqu’il déclare benoîtement « Béatrice fut cette chose dont l’usage aurait pu avantageusement remplacer pour moi l’usage du tabac ». Les lectrices apprécieront.

Dubillard joue avec l’absurde et le sens du paradoxe, c’est sa marque de fabrique et c’est en cela qu’il réjouit nos petites cellules grises. Ses Diablogues sont une réussite absolue sur scène, mais ici dans ces Confessions, j’avoue m’être clairement ennuyé. Un texte sans queue - ça c’est certain - ni tête – à moins qu’il n’y en ait trop au contraire. Peut-être que l’écrit rend mal l’effet recherché par l’écrivain et qu’à l’oral la petite musique de la voix récitative de Roland Dubillard rendrait justice à son travail ?

Par ailleurs, le texte trop daté (1974) ne peut plus être lu aujourd’hui comme hier. Les mesures anti-fumeurs et les changements de comportement ou de mentalité des gens, rendent certaines affirmations ou passages du texte, complètement archaïques et obsolètes. Les lecteurs cultivés n’auront pas manqué de voir le parallèle entre le titre du livre de Dubillard et Les Confessions d’un opiomane anglais de Thomas de Quincey écrit en 1821.

Pour conclure je dirais qu’il s’agit d’un bouquin nébuleux pour ne pas dire fumeux !

 

« Le tabac et le fumeur donnent la représentation d’un combat qui se livre ailleurs, entre deux combattants inconnus. Le tabac n’est qu’un acteur, et le fumeur son comparse. Le même drame sera joué, dans un style un peu différent, par le vin et l’ivrogne ; par Othello et Desdémone. » 

 

1211 Dubillard.jpgRoland Dubillard  Confessions d’un fumeur de tabac français  Folio

 

 

 

 

 

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02/11/2012 | Lien permanent

Le livre ne connaît pas la crise ?

Le livre ne connaît pas la crise, ou du moins il en profite si l’on se réfère à un article paru dans Le Monde (9/11/2012) qui se fait l’écho d’une étude publiée par le cabinet Delotte sur les intentions de consommation des Français pour les fêtes de fin d’année.

On y apprend que nos compatriotes dépenseront plus que la moyenne européenne, qu’ils vont privilégier les cadeaux avant les repas et sorties mais que pour autant ils ne feront pas de folies. D’ailleurs le choix de leurs cadeaux se fera en fonction du prix et des bonnes affaires. En temps  de crise, les Français vont principalement axer leurs achats sur les présents utiles (à 91% d’entre eux, contre 80% l’an dernier) ou éducatifs et culturels.

Alors qu’ils aimeraient recevoir argent, livres et chèques-cadeaux, les Français comptent eux-mêmes offrir des livres. C’est l’intention d’achat numéro un cette année alors qu’en 2011, les livres étaient classés au dixième rang ! Aux enfants, on offrira des jeux de construction et des livres, aux adolescents des jeux vidéo, de l’argent et des livres aussi.

Dans sa Correspondance, Voltaire écrivait « … je mets les bons livres parmi les choses absolument nécessaires » et donc en cette période de crise, les Français se proposent d’adopter la formule du philosophe.     

Par contre, c’est encore sur Internet que les acheteurs vont se ruer pour faire leurs emplettes (pour 33% des sondés). Si l’on peut se réjouir de voir le livre promu principal cadeau pour Noël 2012, il est néanmoins à craindre que ce ne soient pas les libraires de quartier qui en tirent le plus de bénéfices. Encore un de ces nombreux paradoxes dont notre époque est friande.

 

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12/11/2012 | Lien permanent

Morale et obscénité en littérature

« Il n’existe pas de livre moral ou immoral. Les livres sont bien ou mal écrits. C’est tout. » Ecrit Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray.

« Un livre obscène, c’est tout simplement un livre mal écrit. Le talent n’est jamais obscène. Ni à plus forte raison immoral. »  Complète Raymond Poincaré (1860-1934) avocat et homme d’Etat français lors du procès intenté à La Chanson des Gueux, recueil de poèmes de Jean Richepin.

 

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Philippe Manœuvre : Rock

Philippe Manœuvre, Charles Bukowski, Hunter Thomson, Hubert Selby, Philippe Garnier  Philippe Manœuvre, né en 1954 à Sainte-Menehould (Marne), est un journaliste français, critique musical et éditorialiste dans la presse écrite, il est également animateur d'émissions de télévision et de radio et scénariste de bandes dessinées.

Bien que fan de rock moi-même, j’ai longtemps hésité à ouvrir cet ouvrage, une autobiographie du célèbre journaliste Philippe Manœuvre. Nous sommes de la même génération, celle du baby-boom, quoi que je sois son aîné d’une paire d’années, alors que pouvait-il m’apprendre que je ne sache déjà, son parcours m’étant tellement familier ?

Ses débuts dans la vie et de sa passion pour cette musique correspondent à ma propre expérience, d’ailleurs nous allions aux mêmes adresses acheter nos disques (L’Open Market de Marc Zermati aux Halles pour les bootlegs), nous étions tous deux au festival d’Auvers-sur-Oise en 1971, nous avons assisté aux mêmes concerts de ces fabuleuses années (Les Stones à Bruxelles en 1973) et nous sommes de grands admirateurs de ces Rolling Stones… mais si moi j’ai vécu dans l’anonymat, Manœuvre (que je ne connais pas personnellement qu’on se le dise) est devenu la figure emblématique du journaliste français, spécialiste du rock.  

Philippe Manœuvre, dit Philman, c’est surtout Rock&Folk, le fameux magazine que je lis toujours depuis le premier numéro (1966), où il officiera entre 1973 et 2017 (avec une coupure de 1983 à 1990), date de sa retraite. Le type a tout fait, tout vu et porté plusieurs casquettes : dans le désordre, il a travaillé dans la presse écrite à Métal Hurlant, Les Nouvelles Littéraires, Playboy, Libération… pour la radio France Inter ou RTL… pour la télévision aussi sur Antenne 2 (dois-je rappeler « Les Enfants du Rock » ou « Sex Machine » dans les années 80), Canal+, Canal Jimmy et M6.

Outre le rock, Manœuvre s’est beaucoup investi dans la BD ainsi que dans l’édition avec sa collection Speed 17 aux Humanoïdes, nous permettant de découvrir pour la première fois en France, Charles Bukowski, Hunter Thomson ou Hubert Selby ou milieu des années 70. Là encore je lui dis merci !

Le bouquin ne s’attarde pas tellement sur les groupes rock étrangers, comment pourrait-il en être autrement, il les a presque tous vus et interviewés aux quatre coins du monde, par contre il consacre un chapitre complet à Gainsbourg très réussi, un à Johnny Hallyday et un autre, à l’une de ses idoles, Michel Polnareff.

Sur lui-même, il n’hésite pas à révéler son alcoolisme passé (durant 25 ans !), sa consommation de drogues et sa situation familiale. A ma grande surprise et déception dois-je dire, j’ai appris qu’il avait un intérêt pour le mysticisme, genre tarot divinatoire, sorciers… et qu’il aurait vu un OVNI !!! Peut-être sont-ce les séquelles des excès cités précédemment ?

Pour conclure, un bouquin sympa – mais sans plus – pour un public ciblé. Seule vraie déception, je l’ai trouvé beaucoup moins bien écrit que prévu, comparé à ses articles lus dans la presse depuis tant d’années… Mais Manœuvre restera toujours l’enfant du rock, son héraut à l’enthousiasme communicatif pour nous autres Français amoureux de cette musique.

 

 « C’est le début de la collection Speed 17. On va faire très vite des bouquins (speed), on va essayer d’en faire dix-sept. Robial est ok pour nous imaginer une maquette novatrice. Pour lancer la collection, il faut frapper fort. Je réussis à convaincre le rédacteur en chef de Rock&Folk, Philippe Paringaux, de traduire un livre sur la tournée US des Rolling Stones, STP de Robert Greenfield. Nous en vendrons quatorze mille. Mais l’autre grande trouvaille de la collection, c’est Bukowski. Déniché par Philippe Garnier, journaliste à Rock&Folk et grand ami à moi, Bukowski est un phénomène. Personne n’a osé le traduire en français. Les éditions Grasset ont acheté un titre, mais l’éditeur est perplexe. Il trouve ça trop cru, trop sexe, trop alcoolisé. Philippe Garnier accepte de traduire Notes of a Dirty Old Man que nous proposons en français, sous le titre de Mémoires d’un vieux dégueulasse. Le livre parait en 1977, année punk. »

 

Philippe Manœuvre, Charles Bukowski, Hunter Thomson, Hubert Selby, Philippe Garnier  Philippe Manœuvre   Rock   Harper Collins – 281 pages – Avec un cahier photos -

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Régis Franc : London prisoner

Franc Livre 48162438_10390276.jpgRégis Franc (né en 1948) est un auteur de bande dessinée, cinéaste et écrivain français.

Révélé par ses BD au milieu des années 1970 dans Charlie Mensuel et Pilote, il acquiert une assez large audience à la fin des années 1970 avec le strip quotidien, Le Café de la plage, publié dans Le Matin de Paris. Il délaisse peu à peu la bande dessinée à partir du milieu des années 1990 pour se consacrer à l'écriture et au cinéma. Son nouveau bouquin, London prisoner, vient tout juste de paraître.

Il s’agit d’un récit dans lequel l’auteur se propose d’éclairer la lanterne de nos compatriotes français qui envisageraient d’émigrer vers Londres. Régis Franc est bien placé pour en parler, puisque depuis six ans il a franchi la Manche avec femme et enfants, pour s’installer dans la capitale anglaise. L’ouvrage ne s’attarde pas sur les raisons de cet exil choisi mais d’après ce que j’en ai compris, sa femme y est née, ce qui expliquerait ce choix.

S’expatrier n’est jamais simple. Il y a toujours les amis déjà installés qui vous y poussent en jurant que là-bas (quelque soit le pays d’ailleurs) tout est mieux qu’en France, qu’il n’y a pas photo. Ca, ce sont les discours et la théorie, mais dans la pratique, quand de surcroît vous ne parlez pas langue couramment, c’est une autre histoire.

Une histoire que Régis Franc nous raconte. Dès les premières pages du récit on constate qu’il y a un aspect du problème qui n’encombre pas l’auteur, je parle du budget. Il ne semble pas que l’écrivain soit dans la misère, ce qui lui permet d’envisager acheter une maison dans Londres, y faire faire des travaux de rénovation durant un an, tout en vivant dans une location ailleurs dans la même ville, pendant ce temps. Quand on a l’esprit dégagé de ces problèmes bassement matériels, on a ses aises pour écrire un bouquin.

Le récit vous fera découvrir la mentalité et la manière de travailler des artisans anglais, en particulier les plombiers, sa tentative d’immersion dans le monde théâtral, l’importance des jardins pour nos amis anglais et la présence banale d’une famille de renards sur son propre lopin de terre en pleine ville. Nous le suivons aussi à travers la ville, le plus souvent dans les quartiers huppés ou nouvellement branchés dela capitale. Sanscompter sa plus grande déception, ne jamais rencontrer Paul McCartney.

Et pourtant, malgré le titre du livre, malgré le sujet abordé, ce qui m’a le plus touché dans cet ouvrage, ce sont les nombreux passages où il évoque sa jeunesse dans le Midi, du côté de Lézignan-Corbières. Sa vie à Londres, son installation là-bas, tout cela n’est qu’un prétexte, un alibi pour se remémorer – sans nostalgie, juste les faits – son adolescence heureuse dans un environnement familial fait de travail et de lutte des classes, « En ce temps-là, comment vous dire ? La classe ouvrière existait ». Ce qui laisse le lecteur rêveur quand il imagine ce que fut la vie du jeune Franc comparée à ce qu’elle paraît être aujourd’hui. Mais c’est peut-être aussi ce qui a motivé l’écriture de ce texte, un premier bilan en creux d’une vie bien remplie, dissimulé sous des pages d’humour pour se hâter d’en rire avant d’en pleurer.  

Un livre agréable à lire et léger, délicatement critique à l’égard des Anglais mais écrit avec amour et humour. Enfin je le répète, car je crains le quiproquo, malgré son titre et son sujet, le meilleur n’est pas dans le Londres d’aujourd’hui, mais dans le Midi d’hier. Ce qui n’est pas un défaut. « Ici Londres, les Français parlent aux Français ! Tut ! Tut ! Tut ! » 

« Grâce à ces garçons anglais, les adolescents devinrent « les jeunes ». Avant ça, les jeunes et vieux fraternisaient, réunis au café autour du saint pastis. La hiérarchie restait bon enfant. Jamais les jeunes bourrés ne manquaient de respect aux vieux ivrognes. Et puis, sous l’influence affreuse des Beatles ou pis encore, des Rolling Stones, les jeunes décrétèrent que l’alcool était une saloperie, qu’ils préféraient le haschisch. Le hippie déjanté apparut sous Sergeant Pepper. Une calamité, un tsunami dans un pays où de tout temps avait régné le dieu Pernot. »

 

 

5407g.jpgRégis Franc  London prisoner  Fayard

 

 

 

 

 

 

 

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13/10/2012 | Lien permanent

Paul Morand : Eloge du repos

paul morandNé à Paris en 1888, Paul Morand commence en 1913 une carrière de diplomate qui le conduira aux quatre coins du monde. Révoqué après la seconde guerre mondiale, il est rétabli dans ses fonctions d'ambassadeur en 1953 et mis à la retraite des Affaires étrangères en 1955. Elu à l'Académie française en 1968 il décède à Paris en 1976. Considéré comme l’un des pères du « style moderne » en littérature, il s'est imposé comme l'un des grands écrivains français du siècle dernier. Eloge du repos date de 1937, un texte assez court, genre d’essai, écrit rapidement après l’adoption de la loi sur les congés payés par le gouvernement du Front Populaire.

Paul Morand assoit sa réflexion sur un constat simple : si on apprend un métier, on devrait aussi apprendre à se reposer et à prendre des vacances ! Et Morand s’y connait en « vacances » puisque ce petit bouquin a été écrit après onze ans de voyages autour du monde, entre sa mise en congé du quai d’Orsay (1926) peu avant son mariage avec la riche princesse Soutzo et son retour à la diplomatie (1938).

L’oisiveté doit s’apprendre, le repos véritable est dans la tête et tout l’argent du monde n’y changera rien, le repos de l’esprit ou de l’âme ne s’achète pas. L’auteur donne des conseils aux Français lorsqu’ils voyagent à l’étranger (ils ont des devoirs). Les temps libres permettent aussi la pratique de sports ou d’activités physiques (un esprit sain dans un corps sain). Mais la grande vérité reste dans « la vie intérieure, maîtresse de notre vrai repos. »

Je ne vais pas vous vendre ce bouquin comme étant exceptionnel ou à lire toutes affaires cessantes, néanmoins le lecteur qui s’y penchera sera étonné par la modernité de son écriture et surtout de son contenu qui reste souvent d’actualité. J’ai souligné un nombre invraisemblable de phrases ou coché des paragraphes me laissant pantois d’étonnement devant leur aspect visionnaire. Seule critique, au détour d’une phrase ou d’une autre, un nationalisme discret peut agacer le lecteur…

Réflexions sur les Français (« Il craint de ne pouvoir s’adapter au lendemain parce qu’en effet il a l’adaptation lente ; de là sa peur de l’avenir qui n’est qu’un excès de doute en face de tout devenir »), sur la mode (« dont on croit qu’elle invente, tandis qu’elle ne fait que s’adapter puis surenchérir »), sur son époque (« Notre époque est asphyxiée par la peur »), le monde littéraire (« les auteurs ont peur de la critique, les critiques ont peur des éditeurs, les éditeurs ont peur du lecteur et le lecteur a peur du miroir grimaçant que lui tendent les auteurs »), sur l’éducation scolaire… Quant aux voyageurs d’aujourd’hui, « Si les gens, actuellement, se déplacent tant, c’est qu’ils son malheureux : d’où les voyages d’agrément. » Enfin, sans condamner la vitesse, ce qui serait malvenu de la part de cet homme pressé ( !), il nous met en garde néanmoins contre elle, « puisque la mort c’est l’immobilité, le mouvement c’est la vie ; d’où beaucoup concluent que la grande vitesse, c’est la grande vie. »  

Ce texte est loin d’être le plus connu de Paul Morand mais si vous tombez dessus n’hésitez pas à y jeter un œil : il se lit très vite et vous serez très étonné/amusé par sa clairvoyance et son actualité.

 

« Le Français souffre, car il se raidit et il se raidit parce qu’il refuse de laisser aller les choses ; il croit que ce qui arrive depuis quelques milliards d’années a été inventé spécialement pour le contrarier ; et dans ce monde hostile, il entend chevaucher seul l’évènement ; c’est un cavalier qui récuse tout contact avec sa monture et qui ne veut pas se poser sur le sol par l’entremise de ce socle vivant ; au lieu de s’asseoir, il se redresse, s’érige, réclame, raisonne ; il ne sait pas se mettre en boule, il ne sait pas se mouvoir selon des lignes courbes, il ne sait que marcher droit et il en est fier. »

 

 

paul morandPaul Morand  Eloge du repos  Arléa – 125 pages –

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Apollinaire à Paris

Guillaume ApollinaireGuillaume Albert Vladimir Alexandre Apollinaire de Kostrowitzky, dit Guillaume Apollinaire, est un poète et écrivain français, critique et théoricien d'art qui serait né sujet polonais de l'Empire russe, le 25 août 1880 à Rome. Il meurt à Paris le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole, mais est déclaré mort pour la France en raison de son engagement durant la guerre. Apollinaire est considéré comme l'un des poètes français les plus importants du XXème siècle.

Après avoir habité chez sa mère, Apollinaire s’installe au 9 rue Léonie (devenu 4 rue Henner) en avril 1907, l’année où il rencontre Marie Laurencin avec laquelle il aura une aventure - en faux ménage - chacun continuant de vivre chez lui. Cette liaison, marquée par les excès d'alcool et la violence du poète dure jusqu'en juin 1912 mais vacille dès l'inculpation de celui-ci pour complicité de recel, en septembre 1911.

 Il s’agit d’un petit appartement situé au deuxième étage d’un bel immeuble Louis-Philippe aux pilastres corinthiens et aux médaillons Renaissance dans lequel il reçoit Picasso et Max Jacob. Il y vivra jusqu’à octobre 1909.

La rue Henner est une petite rue située dans le 9e arrondissement de Paris, coincée entre la rue La Bruyère et la rue Chaptal. Cette voie est ouverte en 1840 par M. Boursault, qui lui donna le nom de « passage Léonie » du prénom de sa fille Léonie Boursault, qui épousa plus tard le compositeur Jean-Georges Kastner. Elle prendra sa dénomination actuelle par arrêté du 13 mars 1908.

Sur place, étrangement si l’on veut suivre les indications données par les références trouvées dans le bouquin de Gilles Schlesser, il n’y a pas de numéro 4 ! Seuls les numéros 2 et 6 sont indiqués sur les deux immeubles contigus…. mais d’après la description du bâtiment, le 6 paraît le plus vraisemblable.

 

Guillaume Apollinaire

 

 

Photos : Le Bouquineur   Sources : Wikipédia – Le Petit Larousse - « Promenades littéraires dans Paris » de Gilles Schlesser (2017) –

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26/06/2020 | Lien permanent

Interview d’une traductrice

Ce billet a déjà été publié en 2013 mais j’avais dû le retirer plus tard, suite à une injonction de la traductrice faisant valoir son droit à l’anonymat sur Internet. Néanmoins, le trouvant très intéressant, je le republie aujourd’hui, sans citer le nom de cette personne.   

 

Dans un précédent billet, je m’interrogeais sur les traductions et le rôle du traducteur. Pour lever un coin du voile, le mieux était de m’adresser directement à ceux qui nous permettent de lire en français tous ces ouvrages sans qui ils nous resteraient totalement inconnus. Cet entretien a donc un but double, nous éclairer sur le métier de traducteur et rendre hommage à ces artisans indispensables qui œuvrent dans l’ombre.

 

Bonjour, pouvez-vous vous présenter et nous donner quelques éléments biographiques liés à votre métier de traductrice ?

Je suis traductrice depuis 2008, principalement d’anglais vers le français et depuis peu d’espagnol vers le français. A ce jour, j’ai traduit une vingtaine d’ouvrages, principalement des essais et un premier roman qui vient de paraître.

J’ai fait des études de traduction puis je suis parti vivre seize ans aux Etats-Unis pour y enseigner le français. Je suis professeur agrégé d’anglais et j’ai une maîtrise d’espagnol, sachant que l’anglais est plus ma spécialité. J’ai fait un master de traduction littéraire à Paris VII (Charles V) car la traduction est ma vocation première. Après un stage chez un éditeur j’ai décroché une première traduction, puis j’ai passé un second master pour des traductions techniques, juridiques et surtout économiques.

Actuellement je travaille pour une agence de traductions, un métier où il faut être réactif et disponible, pour des missions à court terme, plutôt techniques et donc moins littéraires.

J’ai cru comprendre que le roman que vous avez traduit, c’est vous qui l’aviez proposé à un éditeur. Or, je n’ai pas l’impression que ce soit une démarche courante, non ?

C’est exact, c’est moi qui l’ai proposé alors que ce n’est pas du tout la règle. D’habitude ce sont les éditeurs qui font appel à des traducteurs. En fait, je passais mon master à Paris VII et pour mon mémoire il fallait que je traduise un long extrait, d’une centaine de pages, d’un roman inédit en français. Trouver un bouquin n’était pas évident, c’est une amie dans le métier, et je lui en suis redevable, qui m’a conseillé ce livre, un roman grand public. Puis c’est une tutrice pour mon master qui m’a poussée à proposer le bouquin à un éditeur car elle l’avait aimé, mais je n’avais que peu d’espoir car ce n’est pas la règle comme on l’a vu et j’avais peu de contacts dans le métier étant débutante.

Trouver un éditeur, ce n’est pas simple, car il s’agit d’un cercle assez fermé, très parisien et mon carnet de contacts était plutôt mince quand je me suis souvenue qu’on m’avait parlé de Daniel Arsand, écrivain et directeur de collection chez Phébus, dont j’avais gardé les coordonnées. Très gentiment, il m’a accordé une entrevue d’une demi-heure et j’avoue que je n’étais pas très optimiste, ne pensant pas m’en être très bien tirée. Je lui ai laissé le bouquin en anglais et mon début de traduction pour qu’il les lise. De très longs mois se sont écoulés, de temps à autre je recevais un email pour garder le contact, car de son côté il devait convaincre sa direction, et puis fin 2010, j’ai signé le contrat me donnant six mois pour terminer la traduction, la parution du roman étant programmée pour début 2012. Je pense qu’il a senti que j’étais sincère dans mon intérêt pour le livre, psychologiquement crédible, ni tout blanc ni tout noir, abordant un sujet sensible, l’inceste.

Nous allons maintenant aborder les questions plus techniques liées à la traduction et d’abord, doit-on aimer un roman pour pouvoir le traduire ?

Je vous rappelle que la règle veut que ce soit l’éditeur qui vous contacte, donc dans ces conditions il est souvent difficile de refuser une proposition. Néanmoins, je demande toujours à lire le livre avant de m’engager, il peut être trop difficile à traduire car trop spécialisé ou abordant des domaines trop pointus. Un éditeur m’avait proposé un roman anglais du XVIe siècle traitant de théologie, je l’ai refusé car il m’a paru trop difficile pour moi. De même, les éditions du Rocher m’avaient proposé un livre mais j’ai eu le tort de dire que le roman ne m’emballait pas, du coup je n’ai plus eu de nouvelles de leur part… J’étais débutante, depuis j’ai appris que les éditeurs sont susceptibles, qu’ils aiment qu’on les flatte et qu’on vante leurs bouquins. Mais d’un autre côté, dire qu’on aime un livre risque de vous cataloguer dans un genre qui n’est pas le vôtre et de ne recevoir que des propositions de cette catégorie ! Pour répondre à votre question, oui il est préférable d’aimer le livre que l’on traduit, et ce premier roman était idéal pour moi, il n’était pas trop difficile à traduire, pas d’un style trop daté, pas besoin de recherches historiques approfondies. De plus, il m’intéressait beaucoup avec un sujet méritant d’être proposé au public.

Venons-en à la traduction proprement dite. J’aimerais savoir comment vous procédez pour traduire un roman ?

Je lis le roman au moins deux fois, pour m’en imprégner. Ici, il s’agissait d’un roman facile, contemporain et sans difficultés particulières. Je n’ai donc pas eu à faire des recherches historiques ou lire d’autres romans de la même époque pour me mettre plus complètement dans l’ambiance. Même s’il y a toujours des recherches, ici elles étaient peu importantes.

Ensuite je fais un premier jet de traduction. Mais je ne traduis pas tout l’ouvrage d’un coup, je procède par parties. Et je laisse décanter avant d’y revenir. J’avance ainsi, une progression par paliers. Je dois dire que pour ce roman je n’avais pas de pression particulière, disposant de huit ou neuf mois pour réaliser mon travail. D’ailleurs, les éditeurs savent que la pression ne donne pas de bons résultats et qu’elle oblige à multiplier les corrections postérieures, donc à perdre du temps…

Personnellement, pour me relire, j’imprime tout sur papier car on y voit mieux les défauts. Mais on peut se relire cent fois, à chaque fois on trouve de nouvelles choses à modifier et l’un des principaux « problèmes » dans notre métier, c’est de savoir s’arrêter.

Je suppose que votre traduction est revue ou contrôlée par un œil extérieur ?

Tout à fait. La traduction est supervisée par deux relectrices en général, une au minimum, on réduit les coûts dans ce secteur aussi. Elles corrigent, comme pour des copies d’élèves, avec des marques de corrections ou des suggestions de traduction. Dans ce cas il y a dialogue, il faut justifier son choix de traduction et en général j’ai le dernier mot ! Il s’agit d’un dialogue constructif mais où il ne faut pas discuter sur tout et indéfiniment non plus.

Comment procèdent les relectrices ?

Elles relisent le texte français et se réfèrent à l’anglais quand ça « accroche », en fonction de ce qu’on pourrait appeler leur « sixième sens », leur expérience. Je ne sais pas trop exactement comment elles procèdent et sachant que nous sommes dans le domaine du subjectif, autant de correcteurs que d’avis différents ! Dans mon cas, certainement que la première relectrice s’est appuyée sur le texte anglais et la seconde sur le texte français. Elles ne comparent pas les deux versions en parallèle, mot à mot.

La vraie question qui me turlupine depuis toujours quand je lis un roman traduit, entre le mot juste et la sensation exacte, que choisit le traducteur ? Un mot anglais peut être traduit précisément par son équivalent en français, mais si le sens général peut-être mieux rendu en français avec un autre mot ?

C’est une très bonne question. Entre le mot juste et la sensation exacte, je privilégie la sensation d’abord, l’impression qu’on va produire sur le lecteur. Ce n’est pas évident mais il faut rester le plus proche du texte sans être jamais littéral. Jamais. Il faut savoir gérer la distance, savoir s’éloigner du texte original strictement parlant tout en restant le plus près possible de l’’esprit et de la sensation voulue par l’écrivain. Et il faut éviter à tout prix que le lecteur se pose la question ou s’interroge sur un passage de la traduction pendant qu’il lit.

Je m’interroge aussi sur ce genre de situation, l’écrivain a écrit son roman dans une langue tout à fait correcte mais incidemment, quelques phrases disséminées dans l’ouvrage, sont mal tournées grammaticalement parlant. Quelle est la position du traducteur, corriger ou transcrire tel quel ?

Bien entendu on parle d’erreur involontaire de la part de l’écrivain et non d’un effet recherché pour être en adéquation avec le contexte. Dans ce cas, oui on corrige la phrase mal tournée, ça rend service à l’écrivain.

Mais est-ce le rôle du traducteur de rendre service à l’écrivain ?

C’est encore une bonne question, mais qui doit être posée à l’éditeur car elle dépend de la politique éditoriale de la maison. Le plus souvent l’éditeur veut que ce soit le mieux lisible pour le lecteur français. Dans le cas de littérature grand public nous avons licence pour réarranger quand la phrase est maladroite involontairement. Par contre, pour les grands textes et les grands écrivains de renommée, les traductions sont plus pointilleuses, mais il s’agit aussi d’un autre niveau de littérature.  

Quand je lis certains bouquins je me demande toujours si l’écrivain écrit réellement aussi bien que ce qu’en rend la version en français.

Aujourd’hui globalement, les traductions ont gagné en qualité. Régulièrement on voit paraître des retraductions de grands textes, ou de classiques de la littérature, mais pour autant d’un autre côté, ce n’est pas parce que c’est plus récent que c’est mieux…

Quand vous traduisez un livre, vous le faites à partir de quel support (livre original, feuilles volantes etc.) et de quels outils vous servez-vous en dehors de votre connaissance de la langue ?

En général le livre fourni est en format PDF ou feuilles volantes ou bien le livre original. Le roman que j’ai traduit, je l’avais acheté par moi-même mais c’est un cas particulier.

J’utilise le dictionnaire Robert & Collins mais pas tant que cela car il est moins souvent mis à jour, les recherches sur Internet pour vérifier si un terme est usité en français. Je me réfère à des sites comme Termium un dictionnaire en ligne, et d’autres du même type.

Vous contactez aussi l’auteur, je suppose ?

Effectivement, pour le roman que j’ai traduit, j’ai contacté l’écrivain pour une douzaine de questions afin qu’elle précise sa pensée et que je cerne mieux son intention. L’intention est primordiale par rapport au texte, je le redis. Je dois préciser qu’elle a été très sympa pour répondre immédiatement avec beaucoup de gentillesse.

En tant que traductrice, vous sentez-vous concernée par le succès ou le bide commercial de l’ouvrage sur lequel vous avez travaillé ?

Je m’associe au bide comme au succès car c’est ma traduction qui est lue par le public. Je ne suis pas l’auteur du roman mais l’auteur « second », responsable de la traduction. Pour ce roman comme je lai déjà dit, la situation est très particulière puisque en plus de le traduire, c’est moi qui l’ai introduit en France, donc je suis contente d’avoir fait connaître cette écrivaine chez nous et heureuse car le bouquin a bien marché ici. Je prends ma part du compliment reçu du public.

Est-ce que, d’une certaine manière, traducteur et écrivain font le même métier ?

On ne peut certainement pas dire les choses ainsi, mais je pense qu’ils ont des points en commun. Dans le style ou la recherche de l’expression juste, par contre ils n’ont pas la même part de créativité. Pour le traducteur qui a plusieurs choix de traductions il lui faut choisir la meilleure, c’est sa part de créativité, car il y met du sien. Mais il n’a pas inventé l’histoire c’est certain…    Le traducteur étant au plus proche de l’écriture, il fait donc un peu un travail d’écrivain, d’ailleurs j’écris de petits textes ou nouvelles, j’aime l’écriture et j’ai toujours écrit, c’est mon hobby, mon jardin secret. J’ai choisi le métier de traducteur pour cela aussi.

En écrivant vous-même, vous pouvez mieux comprendre le travail de l’écrivain, par l’intérieur en quelque sorte ?

Oui, tout à fait. 

Avant de conclure, j’aimerais aborder la question de la rémunération. Comment la profession est-elle rémunérée ?

Il faut compter aux alentours de 20 ou 21 euros le feuillet de 1500 signes. Par contre pour des langues plus rares, comme le japonais ou le finnois, ce sera de l’ordre de 26 euros. A ce fixe peut s’ajouter un pourcentage sur les ventes. Récemment, un éditeur me l’a proposé de lui-même alors que jusqu’alors il ne le faisait pas, j’en déduis que cela se développe grâce à l’action de l’Association des traducteurs littéraires, un organisme de protection de notre métier. Ce pourcentage est de l’ordre de 1% mais c’est négociable bien entendu.

Dernière question avant de nous quitter, sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Actuellement je traduis un essai qui traite de la nature et des sciences pour la jeunesse et les adolescents qui est écrit par un collectif et dont nous sommes trois traducteurs à nous partager la traduction. Je ne sais pas sous quel titre il sortira en France, car le titre est toujours du domaine de l’éditeur et plus certainement de son service marketing.

Enfin, si vous me permettez un dernier mot, j’aimerais conclure sur cette citation de Paul Valéry que j’aime beaucoup, « La traduction, c’est créer de la gêne au plus près de la grâce. »

 

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