Geoff Emerick : En studio avec les Beatles
08/10/2012
Après la sortie il y a quelques mois du coffret de l’intégrale des disques des Beatles je m’étais replongé avec délices dans ce nirvana musical, alors quand ce livre est apparu chez les libraires il m’est devenu indispensable, complément parfait d’une étude studieuse de l’œuvre enfin remasterisée.
Geoff Emerick a débuté dans la carrière, de simple grouillot jusqu’à ingénieur du son aux studios EMI en même temps que les Beatles leur carrière que tout le monde connaît. Qui mieux que lui pouvait nous détailler la vie et le travail en studio des Quatre Fabuleux sachant qu’il a participé à la création des albums Revolver, Sgt. Peppers’s Lonely Hearts Club Band, le White Album et Abbey Road ! Une plongée au coeur de la création musicale et des techniques d’enregistrement de l’époque.
Ce qui est merveilleux quand on lit ce livre c’est de se remémorer qu’en ce temps là, le milieu des années 60, tout était à construire, l’époque était favorable à la révolution et elle eut bien lieu. Musicalement parlant, au moins. Nous savons tous que George Martin avait tenu une place importante dans la vie des Beatles, il était producteur c'est-à-dire qu’il tentait de canaliser la création des artistes, proposait des pistes, tâchait d’avoir une oreille objective pour conseiller la bande des quatre. Geoff Emerick, lui, met les mains dans le cambouis, c’est lui qui gère les magnétos, la console d’enregistrement, qui doit accéder aux désirs des musiciens et trouver une solution technique. Quand par exemple John Lennon veut que sa voix dans Tomorrow Never Knows « sonne comme le Dalaï Lama psalmodiant depuis le sommet d’une montagne magique » Geoff Emerick doit trouver une astuce, nous sommes en 1966, les enregistrements sont faits sur du matériel quatre pistes seulement, l’électronique et les logiciels informatiques n’existent pas, tout est bricolage et combines lorsque que l’on veut comme les Beatles inventer de nouveaux sons, pousser plus loin la création musicale. Geoff Emerick se régale, car mine de rien, si les musiciens créent de magnifiques mélodies, c’est lui qui permet qu’elles se concrétisent sur le vinyle, ne l’oublions pas. Les studios EMI sont gérés comme une administration rétrograde, avec des règlements lourdingues, il faut des autorisations signées en cinquante exemplaires pour déplacer un micro ! Geoff Emerick violera ces lois (et on se délecte à la lecture de tous ces interdits qui tombent les uns après les autres), car sa jeunesse le met en phase avec l’air du temps et la pensée artistique de Paul McCartney et John Lennon.
Au-delà de l’aspect technique des enregistrements, nous en apprenons beaucoup aussi sur les caractères des principaux héros de la légende. Johnet Paul écrivaient rarement leurs chansons ensemble, sauf à leurs tout débuts peut-être. L’auteur principal de la chanson est toujours celui qui la chante à de rares exceptions. « Ringo avait un réel talent mais guère d’imagination » ; « George Martin a toujours voulu que les projecteurs brillent sur lui seul » ; George Harrison en prend pour son grade quand il peine bien souvent à sortir une partie de guitare, Lennon et Macca aussi n’échappent pas aux critiques, c’est aussi là un aspect intéressant de ce livre, l’auteur n’est pas un servile témoin de l’Histoire. D’ailleurs quand la fin approchera, l’arrivée de Yoko Ono, les dissensions en studio, il préfèrera quitter les Beatles en plein milieu des sessions du White Album. Le livre se poursuit aussi avec l’enregistrement de Band On The Run au Nigéria avec Paul et les Wings.
Je voudrai citer tel ou tel passage, tant chaque page est réjouissante, mais il faudrait reproduire le livre in extenso. Tout le bouquin est un régal pour les amateurs de musique et les fans des Beatles en particulier, qui le liront avec un CD des Fab Four en bande son. Absolument indispensable évidemment.
« Je ne sais pas exactement quand ils ont commencé à voir les choses en ces termes de « eux et nous ». Peut-être avec le protocole vestimentaire d’EMI, ou avec l’horripilante habitude de George Martin de se référer à nous non pas par nos noms, mais en disant « le personnel » quand il parlait aux Beatles. Ou peut-être était-ce un problème de communication : c’était un peu étrange, quand ils étaient dans le Studio Two, de les voir travailler en bas dans le studio alors que la régie était au sommet d’un escalier ; ces vingt marches donnaient l’impression qu’ils étaient très éloignés . Et pourtant ils s’isolaient plus encore, en installant des écrans et en transformant un coin de la pièce en espace privé. La plupart du temps nous ignorions totalement ce qui se passait là-bas ; on voyait la tête d’un Beatle émerger de l’écran, on sentait l’odeur de l’encens et on se disait : « Ils fument encore de la dope ». Je suis persuadé qu’ils n’ont jamais soupçonné que nous le savions, ce qui était parfaitement idiot : nous étions tous au courant de leurs rapports avec la drogue, même si George Martin était un peu candide à ce sujet. »
Geoff Emerick En studio avec les Beatles chez Le Mot et le Reste
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