Maurice Barrès : Les déracinés
09/10/2012
Ce roman – paru en 1897 – est le plus connu des textes de l’œuvre de Maurice Barrès (1862-1923) alors que paradoxalement, il n’est pas romancier mais essayiste, chroniqueur, journaliste.
Le roman débute à Nancy, dans un lycée où nous faisons connaissance d’un groupe de sept jeunes hommes à l’aube de leur vie et de leur professeur de philosophie, représentation du républicain kantien qui applique la devise « Je dois toujours agir de telle sorte que je puisse vouloir que mon action serve de règle universelle ». Tout comme le héros de Balzac, Eugène de Rastignac, quelques jeunes gens vont monter à Paris en quête de gloire et de fortune. Loin de leur Lorraine natale, déracinés, ils vont se confronter à la grande ville où leurs personnalités profondes vont dissocier leurs parcours et tracer leurs destinées. Le crime et la mort pour certains, la réussite tempérée par la mise à mal de leurs idéaux de jeunesse pour d’autres.
Un excellent livre qui au-delà de la trame romanesque assez simple, est riche en « à côtés » - qui en réalité sont la quintessence du roman - comme ces longues pages sur l’enterrement de Victor Hugo, ces descriptions précises de la vie économique et éthique d’un journal, ces remarques sur l’éducation de l’époque « Les conditions de la vie universitaire broient les pauvres » ou « l’instituteur a mission de donner la réalité de Français aux enfants nés sur le sol de France » ou bien encore cette réflexion sur la peine de mort « Couper le cou, c’est de la prudence, mais nulle expiation ne peut faire qu’un acte n’ait pas été commis ». Tout cela est accentué par le style de l’écriture créant une distanciation très journalistique entre les faits décrits et leur transcription. Un livre à lire absolument.
« De ce dîner par un beau soir profond sous les arbres des Champs-Élysées, Sturel emporta le pressentiment que jusqu’alors il avait vécu dans une convention dans l’ignorance des choses. C’est un thème banal, l’opposition qu’il y a entre la vie, telle qu’on se l’imagine, et sa réalité, mais cette banalité soudain pour Sturel devint douloureusement vivante et agissante. Elle infecta toutes les opinions qu’il s’était composé des hommes et des choses. Chaque jour de cette semaine, il fut plus déniaisé, mais plus sombre. Il apprit que si toutes les convictions ne sont pas déterminées par l’argent, presque toutes du moins en rapportent, ce qui atténua leur beauté à ses yeux. Il constata que si certains hommes prenant certaines attitudes sans subvention, certains autres sont subventionnés pour les prendre, et qu’ainsi le plus désintéressé, toujours suspect aux malveillants, n’a même pas la pleine satisfaction de se savoir en dehors des combinaisons pécuniaires : sans en profiter, il les sert. »
Les commentaires sont fermés.