Philippe Garnier : L’Oreille d’un sourd
13/10/2012
Philippe Garnier est journaliste, écrivain et traducteur né en 1949. Disquaire au Havre dans sa petite boutique Crazy Little Thing, il fait la navette avec Londres où il fait ses emplettes pour achalander sa boutique, puis en 1975 il part s'installer définitivement aux États-Unis, tout d'abord à San Francisco puis à Los Angeles où il vit toujours.
Que les choses soient claires d’emblée, j’adore ce mec ! J’ai commencé à le lire dans Rock & Folk dans les années 70, puis dans Libération et je l’ai aussi vu à la télévision quand il faisait des interviews pour le magazine Cinéma, cinémas qui passait sur Antenne2 à l’époque.
Je l’adore car il fait partie de ceux qui m’ont ouvert des portes intellectuelles, montré des pistes, fait faire des découvertes, grâce à ses articles consacrés au rock bien sûr, mais surtout à des écrivains peu connus alors ou des acteurs de second plan. Ce sont surtout ces deux derniers points que je retiens. Grâce à lui j’ai découvert Charles Bukowski et John Fante, qu’il a traduits et fait connaître aux Français. Il m’a tout appris de Dashiell Hammet, David Goodis et tous les grands du polar américain.
Ses articles dans la presse, même s’ils n’étaient pas signés, seraient immédiatement reconnaissables. D’abord le sujet, souvent il évoque des gens (écrivains, acteurs, musiciens) peu connus du grand public, ensuite ses papiers sont bourrés de détails et de références pointus qui vous aiguillent vers d’autres personnes. Comme un collectionneur fou, il semble qu’il pourrait parler du sujet abordé avec un savoir encyclopédique, durant des pages et des pages si un rédacteur en chef ne l’arrêtait pas. Pour le paraphraser, je dirais « qu’il sait faire chanter les détails superflus avec un talent fou ». C’est le genre de type qui sillonne les USA au volant de sa bagnole pour vérifier si le bar d’un bled du Montana, existe bien tel qu’il est décrit par un auteur de roman ! Vous voyez le topo ? Philippe Garnier est un passeur magistral, dans le sens où il m’a montré l’existence d’écrivains et de musiciens que je ne connaissais pas et qui s’avérèrent mériter qu’on les découvre.
Son bouquin, L’Oreille d’un sourd qui vient de sortir et tire son nom de celui de la rubrique qu’il tenait dans Libé dans les années 80, est une compilation d’articles paru dans Rock & Folk, Libération et Les Inrockuptibles entre 1981 et 2009. Plus de soixante-dix papiers, dont deux inédits, que j’ai relus avec autant de plaisir qu’au premier jour.
Le livre, sous-titré L’Amérique dans le rétro : trente ans de journalisme, dit bien l’énorme travail abattu par Philippe Garnier durant toutes ces années, c’est le portrait d’un continent vu à travers le prisme d’artistes et de faits divers, ce petit bout de la lorgnette qui néanmoins en dit beaucoup sur ce pays.
Vous lirez ici ses articles sur Sam Cooke, Paul Simon, Tom Waits, Lux Interior, Joey Ramone, Solomon Burke si vous aimez la musique, ou bien Walter Tevis, Quiroga, Fitzgerald, Bukowski, Wilfred Thesiger si vous êtes plutôt littéraire, Louise Brooks, Humphrey Bogart, Jack Nicholson pour les cinéphiles, mais Garnier sait aussi s’attaquer à des sujets complètement improbables comme ces papiers sur les bas nylon ou l’historique des fameuses godasses Doc Martens ! Ce ne sont que des exemples.
Textes fouillés, rédigés par un maniaque du détail, sans langue de bois pour dessouder des icônes, balançant quelques vacheries de temps à autre, bref je me suis régalé tout au long de ces plus de cinq cent pages, longue virée au cœur de l’Amérique.
Philippe Garnier L’Oreille d’un sourd Grasset
Les commentaires sont fermés.