Jack Kerouac : Sur la route
14/10/2012
Le livre mythique, Sur la route de Jack Kerouac, vient d’être réédité dans sa version première avec le sous-titre Le rouleau original. En reprendre la genèse serait trop fastidieux, d’ailleurs il y a quatre préfaces par autant de spécialistes de l’œuvre de l’écrivain américain en ouverture de cette nouvelle édition pour tout vous expliquer.
Jack Kerouac écrivain américain d’origine canadienne-française (1922-1969) est le chef de file de la Beat Generation, ces écrivains comme Burroughs, Corso, Ferlinghetti, Ginsberg, mentors des beatniks et plus tard des hippies en ouvrant les portes de la perception du monde qui les attendait, leur montrant que d’autres chemins étaient possibles. Avec ce livre, toute une génération s’est précipitée sur le bord des routes, le pouce en l’air et le sac au dos pour les uns, par procuration, par l’esprit et le rêve pour les autres (moi par exemple).
Jack Kerouac a écrit ce bouquin en 1951 (paru en 1957 aux USA) et je l’ai lu au début des années 70, en témoigne ma vieille édition Folio préfacée par Michel Mohrt, datée de 1972 aux pages jaunies et poussiéreuses que j’ai ressortie des rayons de ma bibliothèque pour la comparer à cette nouvelle version. A l’époque le texte avait été fractionné en chapitres pour respecter les normes de l’édition classique et les noms propres avaient été changés, de même que les scènes à référence sexuelle (voire homosexuelle) avaient été caviardées. Aujourd’hui nous avons ce qui ressemble le plus à ce que désirait Kerouac, le tapuscrit original proposait un texte écrit d’une seule traite, sur un rouleau de papier, sans sauts de lignes ou chapitres. C’est ce que nous pouvons lire désormais, près de 370 pages sans pouvoir souffler, avec les noms réels des protagonistes, Jack et son pote Neal Cassady, Williams Burroughs et les autres. Pour avoir comparé quelques pages de mon Folio avec ce nouveau bouquin, il n’y a pas photo, c’est un peu comme un vieux disque qui ressortirait en version remasterisée. Nous avions été nombreux à adorer ce livre jadis, le lire aujourd’hui est encore meilleur tant le style en retranscrit l’urgence.
Ce qui peut ressembler à un pavé avec toutes ces pages qui se suivent sans vouloir s’arrêter, restitue admirablement le propos de l’écrivain, foncer, aller de l’avant, vivre sans débander, choper le pulse comme dit son ami Neal, car « j’ai compris que quoi qu’on fasse, au fond, on perd son temps, alors autant choisir la folie ». Tout le livre n’est qu’une longue course, en voiture ou en stop, à travers les Etats-Unis, « la route c’est la vie », New York vers San Francisco, San Francisco vers New York ou New Orleans et au finale la ruée vers le Mexique. Allers et retours incessants, sans le sou en poche, en quête de bières, de filles et de fêtes, avec le jazz et son beat permanent en fond sonore. Une histoire d’amour/amitié entre hommes, Jack Kerouac et Neal Cassady, parce que c’était lui, parce que c’était moi aurait-il pu écrire lui aussi. Les couples se font et se défont, des amis arrivent d’autres partent.
Une vie minable pour certains, une sensation de liberté intense pour d’autres. On imagine l’effet d’une telle bombe pour les cercles bourgeois surtout à cette époque. Pourtant il y a comme un hiatus entre l’idée qu’on se fait de l’écrivain et sa réalité car il écrivait aussi « Mener une vie saine, être bien logé, bien se nourrir, prendre du bon temps, le travail, la foi, l’espérance, moi j’y croyais. J’y ai toujours cru. » Jack Kerouac un écrivain mal compris, très certainement, diabolisé par les uns, idéalisé comme le chantre de la liberté pour les autres, la vérité est ailleurs peut-être.
En tout cas un livre absolument merveilleux qui m’a redonné le temps de sa lecture, l’espoir et l’enthousiasme de la jeunesse, qui m’a rappelé l’origine de mon attrait pour le continent nord-américain, comme une fenêtre ouverte vers le grand large. N’est-ce pas la preuve d’une grande réussite pour un livre ?
« A moi tout seul, j’ai déchargé un wagon de marchandise et demi de cageots de fruits dans la journée, interrompu seulement par une virée aux entrepôts de Denver, pour prendre des cageots de pastèques sur le parterre glacé d’un wagon, les tirer au soleil brûlant et les charger dans un camion tapissé de glace pilée, ce qui m’a valu un mauvais rhume. Ca m’était égal ; une fois de plus, je voulais aller à San Francisco. Tout le monde veut y aller, et pourquoi faire ? Au nom du Ciel et des étoiles, pourquoi faire ? Pour la joie, pour le pied, pour cet éclat dans la nuit. »
Jack Kerouac Sur la route Gallimard
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