Sylvain Tesson : Dans les forêts de Sibérie
16/10/2012
Sylvain Tesson né en 1972 est écrivain et voyageur, fils du journaliste Philippe Tesson. Géographe de formation, il voyage la plupart du temps par ses propres moyens, c'est-à-dire sans le soutien de la technique moderne, en totale autonomie. Ses expéditions sont financées par la réalisation de documentaires, par des cycles de conférences et par la vente de ses récits d'expédition. Il obtient le prix Goncourt de la nouvelle en 2009, pour Une vie à coucher dehors. .
Sylvain Tesson a passé six mois de février à juillet 2010, en ermite dans une cabane au sud de la Sibérie, sur les bords du lac Baïkal, non loin d'Irkoutsk. C’est cette expérience qu’il relate dans son nouveau bouquin, Dans les forêts de Sibérie, présentée sous la forme d’un journal intime.
On passe rapidement sur les préparatifs, la liste du matériel essentiel à emporter, la liste des bouquins à emmener, « sachant qu’il ne faut jamais voyager avec des livres évoquant sa destination » nous prévient l’auteur et surtout, des cigares et des litres de vodka, compagnons des joies et des peines, et pour la vodka compagnon tout court, car le gars tête plus souvent qu’à son tour !
Je me suis immédiatement plongé avec une délectation gourmande dans ce roman, car dès les premières pages j’ai eu la sensation étrange que Sylvain Tesson l’avait écrit pour moi exclusivement, mettant sous mes yeux mon rêve le plus intime. « Assez tôt, j’ai compris que je n’allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m’installer quelque temps, seul, dans une cabane. » De tous temps certains hommes ont eu le besoin de s’éloigner des autres, de vivre en ermite pour des motifs divers, spirituels pour trouver leur dieu, ou bien plus simplement pour retrouver l’essentiel de leur condition d’humain. C’est cette seconde voie qui anime l’écrivain, se délester de tout ce superflu que nous offre la modernité, ce mirage du bonheur, revenir aux basiques, pêcher pour se nourrir, couper son bois pour se chauffer et en savourer la juste valeur. Et surtout, luxe suprême à notre époque, être maître de son temps.
Dans sa cabane, Tesson n’a pas de téléphone (si, un téléphone satellitaire pour les urgences uniquement) qui sonne, d’ordinateur avec les emails qui tombent sans arrêt, d’obligations sociales de toutes sortes. Il n’a que ses besoins physiologiques à satisfaire au prix d’efforts qui leurs restituent leur juste valeur. Et il possède le temps, il passera des heures à contempler les mésanges devant sa fenêtre, à écouter les craquements de la glace recouvrant le lac Baïkal gelé, à lire et écrire sur sa table de bois construite de ses mains. « Avoir peu à faire entraîne à porter attention à toute chose » constate-t-il justement.
En feuilletant le bouquin pour écrire cette chronique, je constate que j’y ai souligné un nombre invraisemblable de phrases et de passages, tous s’adressent à moi et me disent, le monde tel que nous le vivons n’est pas la vraie vie, tout ce qui nous éloigne de la Nature nous éloigne du bonheur, sachons prendre le temps d’apprécier chacun des gestes qui ponctuent nos journées, sachons apprécier le spectacle offert par une pluie de printemps ou une tempête de neige en hiver.
La cabane chère à Sylvain Tesson est, paradoxalement, un luxe pour beaucoup d’entre nous, alors à défaut contentons-nous d’en retenir les enseignements généraux, « habiter le silence est une jouvence », « la virginité du temps est un trésor », pour les reproduire avec nos moyens, dans notre vie quotidienne.
« L’ennui ne me fait aucune peur. Il y a morsure plus douloureuse : le chagrin de ne pas partager avec un être aimé la beauté des moments vécus. La solitude : ce que les autres perdent à n’être pas auprès de celui qui l’éprouve. A Paris, avant le départ, on me mettait en garde. L’ennui constituerait mon ennemi mortifère ! J’en crèverais ! J’écoutais poliment. Les gens qui parlaient ainsi avaient le sentiment de constituer à eux seuls une distraction formidable. « Réduit à moi seul, je me nourris, il est vrai, de ma propre substance, mais elle ne s’épuise pas… » écrit Rousseau dans les Rêveries. »
Sylvain Tesson Dans les forêts de Sibérie Gallimard
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