Jules Vallès : Le Bachelier
17/10/2012
Jules Vallès (1832-1885) est journaliste et écrivain. Journaliste engagé il créé le Cri du Peuple et sera membre de la Commune. Ecrivain, toutes ses expériences se retrouvent dans sa trilogie romanesque et autobiographique, L’Enfant – Le Bachelier – L’Insurgé. Ce roman, Le bachelier, second volet de la trilogie, paraît d’abord en feuilleton sous le titre Mémoires d’un révolté dans le journal socialiste Révolution française en 1879 et en livre sous son titre définitif en 1881.
Le narrateur Jacques Vingtras, baccalauréat en poche quitte Nantes et son collège pour monter à Paris. Il n’a pas d’argent mais il se sent libre, plein de haine pour la bourgeoisie et de fortes convictions républicaines. Après une enfance difficile et des rapports conflictuels extrêmes avec son père, il a pris l’enseignement en grippe lui reprochant d’avoir asservi son géniteur. Désormais il n’a qu’une envie, devenir ouvrier. « Qui peut le plus, peut le moins » assure un dicton mais pour Jacques ce n’est pas vrai, les éventuels employeurs se méfient d’un jeune homme trop vieux (à dix-sept ans !) et trop cultivé qui veut être ouvrier « Par ce temps de révolution, nous n’aimons pas les déclassés qui sautent du collège dans l’atelier. Ils gâtent les autres. Puis cela indique un caractère mal fait, ou qu’on a déjà commis des fautes. »
Dès lors, il doit se résoudre pour survivre à dénicher de petits boulots qui payent à peine le quignon de pain et la chambre mansardée dans un immeuble insalubre. Vie de bohême étudiante au début, d’amis avec lesquels on refait le monde lors de longues discussions politiques dans l’attente du Grand Soir et de la révolution tant espérée. Après le coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte alors que Jacques et ses amis n’ont pas réussi à entraîner les ouvriers dans un mouvement de défense de la démocratie, il retourne un temps revivre chez ses parents à Nantes.
Quand il revient à Paris, beaucoup de choses ont changé, les amis sont moins engagés dans la lutte politique, sa fiancée en aime un autre, lui-même change « Puis j’ai lu des livres, j’ai réfléchi, et je ne crois plus aussi fort que jadis à l’efficacité du régicide », pourtant avec quelques comparses il va tenter d’organiser un attentat contre Napoléon III qui échouera. Arrêté, libéré, il vivote dans la presse et l’édition car ses articles sont trop polémiques pour ses employeurs.
De leur côté, ses parents se séparent en raison d’infidélités du père. Sa mère qu’il va revoir, espère le marier avec une jeune fille mais il préfère retourner à Paris pour éviter de s’engager dans une vie bourgeoise. Finalement, dans le dernier chapitre « il se rend », acceptant un job de pion dans l’enseignement lui qui « voulait brûler les collèges », écartelé entre ses convictions et la nécessité de travailler.
Idéaliste révolutionnaire « J’aime ceux qui souffrent, cela est le fond de ma nature, je le sens », Jacques Vingtras décide de sacrifier l’avenir bourgeois qui est censé être le sien, pour se lancer dans une vie ouvrière où il pense trouver des compagnons de rage pour la révolution qu’il espère. En confrontant ses idéaux à la réalité il découvre des facettes de sa personnalité qu’il ignorait « C’est terrible, ces goûts d’aristocrate avec mes idées de plébéien ! ». Finalement il doit abdiquer temporairement – du moins dans ce deuxième volet de la trilogie – acceptant un job honnis « Je vais mentir à tous mes serments d’insoumis ! N’importe ! Il me faut l’outil qui fait le pain… ». La rage est rentrée mais non éteinte. A suivre.
Un livre qui sait être dur quand il évoque la misère, exaltant quand il ranime nos espoirs de jeunesse en un monde meilleur sous les traits de Jacques, mais Jules Vallès sait aussi nous faire sourire grâce à l’humour ou l’ironie de certaines situations. Ecrit dans un style haché, fragments de textes, notes comme dans un journal intime, décompte exact du budget serré du héros où chaque dépense ou rentrée fait l’objet d’une ligne, etc. un texte moderne qui déjà a mis pied dans le XXème siècle.
« Avez-vous donc besoin d’être ouvrier pour courir vous faire tuer à une barricade, si la vie vous pèse !… Allons ! prenez votre parti de la redingote pauvre, et faites ce que l’on fait, quand on a eu les bras passés par force dans les manches de cet habit-là. Vous pourrez tomber de fatigue et de misère comme les pions ou les professeurs dont vous parlez ! Si vous tombez, bonsoir ! Si vous résistez, vous resterez debout au milieu des redingotes comme un défenseur dela blouse. Jeunehomme, il y a là une place à prendre ! Ne soyez pas trop sage pour votre âge ! Ne pensez pas seulement à vous, à vos cent sous par jour, à votre pain cuit, qui roulerait tous les samedis dans votre poche d’ouvrier… C’est un peu d’égoïsme cela, camarade !… On ne doit pas songer tant à son estomac quand on a ce que vous semblez avoir dans le cœur ! »
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