Emile Zola : L’Assommoir
06/03/2013
Émile François Zola (1840-1902) écrivain et journaliste, est considéré comme le chef de file du naturalisme. C’est l'un des romanciers français les plus populaires, l'un des plus publiés, traduits et commentés au monde. Sur le plan littéraire, il est principalement connu pour Les Rougon-Macquart, fresque romanesque en vingt volumes dépeignant la société française sous le Second Empire et qui met en scène la trajectoire de la famille des Rougon-Macquart à travers ses différentes générations. Les dernières années de sa vie sont marquées par son engagement dans l'affaire Dreyfus avec la publication en janvier 1898, dans le quotidien L'Aurore, de l'article intitulé « J’Accuse…! » qui lui a valu un procès pour diffamation et un exil à Londres.
Dans ce septième volume des Rougon-Macquart, paru en 1877, Emile Zola délaisse les salons et la bourgeoisie pour nous entraîner à l’autre bout de l’échelle sociale, le monde ouvrier et sa face la moins reluisante, ce qui vaudra à l’écrivain de nombreuses critiques lors de sa parution, le livre étant jugé trop cru et trop réaliste. Pour autant, c’est cette boue scandaleuse pour certains, qui en fera un véritable succès public, comme quoi le scandale faisant vendre, ne date pas d’aujourd’hui…
Gervaise est arrivée à Paris avec son amant Lantier, un flemmard de première qui vit sur le travail des autres, en l’occurrence sur la maigre paye de lavandière de sa concubine. Bien vite abandonnée, la jeune femme se voit courtisée par Coupeau, un couvreur-zingueur, travailleur honnête et fidèle. Dans un premier temps ils se mettent en ménage dans un misérable immeuble où habitent les Lorilleux, sœur et beau-frère de Coupeau, puis ils décident de se marier. Lentement le ménage prospère grâce à leur travail, leur sérieux et la bonne gestion de leurs maigres revenus. Un enfant naît, Nana. Gervaise avait déjà eu deux autres enfants, des garçons expédiés rapidement par Emile Zola qui les envoie en province.
La lavandière devient amie, en tout bien tout honneur, avec Goujet, un jeune forgeron timide secrètement amoureux de Gervaise qui vit avec sa mère, près de chez eux. Après que Coupeau tombé d’un toit, se soit grièvement blessé, Goujet prêtera une forte somme à Gervaise pour qu’elle ouvre un commerce de blanchisseuse, ses affaires marchent bien et elle engage des ouvrières repasseuses. Gervaise ne le sait pas encore mais elle est arrivée à son zénith et dès lors la descente va commencer. Elle sera inexorable et terrible.
Coupeau devenu invalide découvre les bons côtés de la fainéantise, il traîne à droite et à gauche et finit par se laisser entraîner à boire par des amis peu recommandables. L’Assommoir, un troquet où trône un alambic, devient leur quartier général. Petit à petit, les quelques économies du couple sont converties en coups à boire par Coupeau. Là-dessus, retour de Lantier qui devient copain avec Coupeau et finit par s’installer chez le couple où il fait son nid en évinçant le mari abruti par l’alcool. La dégringolade s’accélère, Coupeau boit de plus en plus, Lantier mange leurs économies, Gervaise sombre à son tour et doit se séparer de son commerce pour éponger une partie de ses dettes. Retour à la case départ dans une misérable chambre. Nana, jeune délurée pas farouche quitte le domicile et disparaît – du moins dans ce roman. La misère n’en a jamais assez et s’acharne sur Gervaise qui maintenant boit aussi. Les évènements les plus sordides s’enchaînent, Coupeau décédera alcoolique au dernier degré et Gervaise crèvera de faim, comme un chien, dans un cagibi sous un escalier qui lui servait de dernier logis.
S’il y a des romans noirs et éprouvants, L’Assommoir en est le plus parfait modèle. Tout est épouvantable dans cette histoire car Gervaise, l’héroïne, n’est pas foncièrement mauvaise, elle fait montre d’un beau courage quand elle trime dur pour élever son niveau de vie, tout le monde apprécie son travail et elle ne manque pas de cœur on le voit tout au long du roman ; toujours prête à pardonner ses incartades à son homme ou à se réconcilier avec son entourage, voire à tenter d’intervenir pour sauverla petite Lalie des violences de son père alors qu’elle-même est déjà bien bas. Certes elle n’est pas prudente, dépensant aussi sans compter (un chapitre extraordinaire sur le gueuleton qu’elle organise pour sa fête, un repas comme on les faisait au XIXe siècle avec une multitude de plats et de bouteilles vidées, intérêt sociologique et mise en appétit garantie) et n’hésitant pas à emprunter plus que de raison.
Mais ce qui est réellement éprouvant dans ce roman, c’est la violence causée par l’alcoolisme. Les hommes qui frappent leurs femmes et leurs enfants jusqu’à la mort, la perte de tous leurs repères, le moindre sou chèrement gagné qui finit en chopine alors qu’épouse et marmots attendent un quignon de pain à la maison. A cela s’ajoutent, la promiscuité, on vit à plusieurs dans une pièce, les commérages de quartier, les alliances et mésalliances qui vont et viennent en fonction d’intérêts mesquins.
Comme toujours Emile Zola a bossé son sujet, les descriptions liées aux activités professionnelles sont remarquables de précision, qu’il s’agisse des repasseuses, du couvreur ou du forgeron et la langue truffée de termes d’argot ou de mots grossiers met le lecteur en condition. Zola qui avait été journaliste, livre ici un roman en forme d’enquête in vivo, très moderne en somme. D’autant plus que la pauvreté, la faim et la misère, l’alcoolisme et les violences familiales, restent hélas, des sujets d’actualité.
« Tous deux se regardèrent. Ah ! mon Dieu ! Ils en étaient là, le père Bru mendiant, Mme Coupeau faisant le trottoir ! Ils demeuraient béants en face l’un de l’autre. A cette heure, ils pouvaient se donner la main. Toute la soirée, le vieil ouvrier avait rôdé, n’osant aborder le monde ; et la première personne qu’il arrêtait, était une meurt-la-faim comme lui. Seigneur ! n’était-ce pas une pitié ? Avoir travaillé cinquante ans, et mendier ! S’être vue une des plus fortes blanchisseuses de la rue de la Goutte-d’Or, et finir au bord du ruisseau ! Ils se regardaient toujours. Puis, sans rien se dire, ils s’en allèrent chacun de son côté, sous la neige qui les fouettait. »
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