Ian McEwan : Sur la plage de Chesil
20/02/2014
Ian McEwan, né en 1948 à Aldershot, est un romancier et scénariste britannique. Il a passé une grande partie de sa jeunesse en Extrême-Orient à Singapour, en Afrique du Nord (en Libye), et en Allemagne, où son père, officier écossais dans l’armée britannique, était en poste. Il a fait ses études à l’université du Sussex et l’université d'East Anglia, où il a été le premier diplômé du cours d’écriture créative créé par Malcolm Bradbury. Dès le début des années 1980, Ian McEwan s’impose sur la scène littéraire britannique et plusieurs de ses ouvrages ont été adaptés pour le cinéma. Son roman, Sur la plage de Chesil, est paru en 2008.
Angleterre, année 1962. Edward Mayhew dont le père est instituteur et la mère mentalement dérangée, étudie l’histoire. Florence Ponting, issue d’un milieu au standing supérieur, étudie le violon et vit chez ses parents, père homme d’affaires prospère et mère professeur d’université. Le hasard les réunit lors d’une réunion d’opposants à la bombe H. Après de longues fiançailles, ils se marient et dans les contes pour enfants la phrase s’achèverait par un « et ils eurent beaucoup d’enfants. » Mais dans cette sorte de livres on passe sous silence la nuit de noce, tout le contraire du roman de Ian McEwan. Tout le livre est basé sur ce fameux instant dont l’écrivain fait l’acmé dramatique de la narration.
En situant son roman en 1962, McEwan place son couple à une époque charnière de la mutation sociale des pays occidentalisés. Déjà les prémisses de ce que Bob Dylan résumera magistralement d’un The Time They Are A Changin’ en 1964, sont là. Contestation de l’ordre établi et révolution sexuelle, pour faire court, agitent certains milieux. Ceux qui n’ont pas connu cette époque auront peut-être du mal à parfaitement saisir les souffrances psychologiques liées aux rapports de couple d’Edward et Florence mais cette remise dans le contexte de l’époque est impérative pour apprécier toute la portée du roman. Ian McEwan nous fait bien prendre conscience de l’évolution de notre société, il y eut un avant et un après années 60’.
Si Edward n’est pas très dégourdi sexuellement parlant, Florence est à mille lieues de la réalité physique induite par le mariage. La période où ils se sont fréquentés n’était que baisers chastes et les approches plus directes d’Edward écartées par Florence, les cantonnaient dans leurs rôles d’amoureux transis, tels qu’on les vivait en ces temps désormais si lointains. Alors, imaginez la nuit de noce, quand après avoir repoussé au maximum l’échéance, l’oie blanche doit se résoudre – théoriquement - à laisser le renard entrer dans le poulailler…
Le piège, mais c’est là qu’on reconnait les bons écrivains, était ne pas tomber dans le graveleux ni à l’inverse dans le mièvre. Ici, pas de rires gras ou de ricanements niais, parfois on s’autorise seulement un sourire quand la fermeture Eclair de la robe de mariée résiste aux gestes gauches du marié intimidé ou quand l’auteur se permet une formule pour nous donner de l’air avant que le drame éclate, « Edward était obsédé par ce soir précis de juillet où la partie la plus sensible de son anatomie résiderait, même brièvement, à l’intérieur d’une cavité naturelle du corps de cette jolie femme… » Et quand nos tourtereaux paraissent tomber dans le banal, « - C’est là que tu m’as vue, dit Florence. Et que tu as décidé de me faire baisser les yeux. – Faux. C’est toi qui m’as jeté un coup d’œil, avant de conclure que j’étais sans intérêt », c’est le moyen pour McEwan de mettre ses personnages et ses lecteurs au même niveau de connivence vécue.
Ian McEwan alterne les points de vue d’Edward et de Florence, utilise les flashbacks passant de l’époque des jeux de rôles entre amoureux, au présent des just married. Pour la séquence cruciale, du dîner intime à la couche nuptiale, dans cet hôtel du Dorset en bord de mer où le couple doit passer sa lune de miel, l’écrivain déploie tout son talent pour décrire les deux versions de l’interprétation des signaux sexuels, les gestes tâtonnants, les mots dits et surtout ceux qui ne le seront pas, aboutissant à un final déchirant, borné par deux moments entrant en résonnance, Florence reculant le retrait de sa robe avant que, Edward s’attardant pour renfiler son pantalon après que.
Car ces deux là s’aimaient, mais n’ayant pas su négocier l’acte fondateur asseyant la réalité de leur union, la plage du Chesil deviendra le cimetière de leur bonheur annoncé. Un très beau roman sur les incompréhensions entre les sexes et le poids des règles sociales qui régissent nos actes contre notre volonté.
« Le repas de mariage avait été copieux et prolongé. Ils n’avaient pas faim. En théorie, ils auraient pu abandonner là leurs assiettes, empoigner la bouteille de vin, descendre en courant vers la plage, se débarrasser de leurs chaussures et se griser de leur liberté. Personne à l’hôtel, ne les en aurait empêchés. Ils étaient enfin adultes, en vacances, libres d’agir selon leur bon plaisir. Encore quelques années, et beaucoup de jeunes gens très ordinaires ne s’en priveraient pas. Pour l’heure, cependant, Edward et Florence se sentaient prisonniers de leur époque. Même quand ils étaient seuls, mille règles tacites continuaient de s’appliquer. »
Ian McEwan Sur la plage de Chesil Gallimard - 150 pages –
Traduit de l’anglais par France Camus-Pichon
2 commentaires
Un sacré talent MC Ewan et un bon moment de lecture.
Je ne suis pas un inconditionnel de Ian McEwan mais ce roman, à ce jour et au point où en sont mes lectures, est celui que je préfère de cet écrivain.
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