Saul Bellow : La Planète de Mr Sammler
30/06/2014
Saul Bellow (1915-2005) est un écrivain canadien-américain fils d'immigrés juifs-russes, élevé à l'école de la rue mais universitaire de carrière, notamment à Chicago. Saul Bellow a obtenu trois fois le National Book Award, pour Les Aventures d'Augie March (1953), Herzog (1964) et La Planète de M. Sammler (1969). Il reçut le prix international de littérature en 1965 et le prix Nobel de littérature en 1976. Cinq fois divorcé, l’écrivain vivait entre le Vermont et Boston, remarié à une ex-étudiante de trente ans sa cadette, lorsqu'il décède en 2005.
New York, fin des années soixante, l’homme se prépare à mettre le pied sur la lune. Artur Sammler, soixante-dix ans, borgne et veuf, habite la Grosse Pomme depuis 1947 rescapé par miracle des horreurs du nazisme et du racisme polonais, « Ces choses-là arrivent, c’est tout. Et elles étaient arrivées à Sammler, à sa femme et à d’autres qui, par une journée limpide, avaient dû se mettre nus. Dans l’attente d’être abattus au bord d’une fosse commune. » Sammler vit des largesses d’un membre de sa famille par alliance sur le point de décéder, coincé entre ce dont il est redevable et l’extravagance désarmante de ses proches. Entre une vie difficile et les problèmes psychologiques des siens, le vieil homme tente de s’adapter, que ce soit Shula sa fille qui volera un manuscrit précieux pour son auteur, Angela sa nièce lui confessant ses gros besoins sexuels (« - Une partie carrée ? – Oui. Tu sais, ça se fait maintenant, mon oncle. ») ou Wallace son frère fantasque. Et à l’extérieur ce n’est pas mieux, il sera hué par des étudiants contestataires lors d’une conférence et, carrément extravagant, menacé dans le hall de son immeuble par un individu lui exhibant son sexe énorme sous le nez !
Saul Bellow alternent les souvenirs du passé tragique du septuagénaire (un peu) et le présent, passant d’un personnage à l’autre, dans un texte assez dense fait de longs chapitres. Un roman qui se prêterait mal à une lecture trop fractionnée, au risque d’en perdre le fil. On trouve chez Saul Bellow ce qui fera Philippe Roth plus tard (dans le désordre, les juifs américains d’origine européenne et les traces du nazisme, les problèmes psychologiques et sexuels, la famille prégnante, les intellectuels etc.) avec, pour moi, une préférence pour Roth. J’aime mieux la construction des romans du second, plus simples ( ?) à lire avec un début et une fin plus évidente.
Le roman ne manque pas d’humour discret, même s’il est étonné ou déconcerté Artur Sammler cherche à comprendre ce monde, s’interrogeant sur la vision qu’il en a, lui le borgne « Bien sûr, dit-il, le monde te paraît différent. Au sens littéral. A cause de tes yeux. » Sans oublier quelques réflexions visionnaires ou très modernes, « L’humanité a perdu sa patience atavique. Elle exige une accélération de l’exaltation, n’accepte aucun instant qui ne soit pas lourd de sens… » ou encore « L’Antiquité acceptait les modèles (…) mais l’homme moderne, peut-être à cause de la collectivisation, a le démon de l’originalité. »
Artur Sammler ayant fait le bilan de ce monde étrange devenu, n’a plus qu’un espoir « … peut-être, peut-être ! que des colonies sur la Lune parviendront à atténuer la fièvre et l’effervescence qui règnent ici, et que l’amour pour l’illimité et pour le tout trouvera un apaisement matériel. L’humanité, ivre de terreur, se calmera, se dégrisera. »
« Parfois, Mr Sammler soupçonnait que son regard sur le monde pouvait ne pas être juste. Son expérience avait été trop particulière, et il craignait de projeter ces particularités sur la vie. Laquelle n’était sans doute pas dénuée de reproches, mais il se disait souvent qu’elle n’était pas et ne pouvait pas être telle qu’il la voyait. Puis de nouveau, de temps en temps, il sentait que le phénomène lui-même le dépassait un million de fois en étrangeté. Que de bizarreries ! »
Saul Bellow La Planète de Mr Sammler Folio – 407 pages -
Nouvelle traduction de l’américain par Michel Lederer
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