Edna O’Brien : Fille de la campagne
21/01/2015
Edna O'Brien, née en 1930 dans un milieu rural du comté de Clare, est une romancière irlandaise, également auteur de nouvelles et de biographies (James Joyce et Lord Byron). En 1950 elle obtient son diplôme en pharmacie puis contre la volonté de ses parents, elle épouse en 1954 l’écrivain irlando-tchèque Ernest Gébler et le couple s’installe à Londres. Ils auront deux fils, Carlos et Sasha, avant de se séparer en 1964. Edna O’Brien publie son premier roman, Les Filles de la campagne en 1960. Le présent ouvrage, Fille de la campagne, son autobiographie, est paru en 2013.
Ce qui se dégage à lire les mémoires d’Edna O’Brien c’est qu’elle est une femme libre et de caractère, une mauvaise herbe pour le milieu dans lequel elle a grandi : l’Irlande catholique du début du XXe siècle forte de son poids de traditions et croyances, qui plus est à la campagne. Assez rapidement elle pressent que l’écriture sera sa vie en lisant des auteurs comme Tolstoï ou F. Scott Fitzgerald mais s’oriente tout d’abord vers des études de pharmacie, en signe d’émancipation, « me formant à une profession qui n’était pas celle que j’avais choisie, mais convaincue qu’un jour je rencontrerais des poètes et qu’un jour je serais admise dans le monde des lettres. »
A partir de là, sa vie va devenir un tourbillon de joies mais de peines aussi, de Londres à New York principalement avec de multiples voyages aux quatre coins du monde, avant de revenir sur le tard au pays de son enfance. Une vie faite de rencontres d’artistes et de personnalités politiques, difficile de toutes les citer tant elles sont nombreuses (un index en fin d’ouvrage ou de courtes notes en bas de pages, n’auraient pas été un luxe, car certaines m’étaient inconnues). Disons quand même qu’elle eut une courte aventure avec Robert Mitchum « Taciturne au cinéma, il était plutôt volubile dans la vie », que Paul McCartney a chanté une chanson au chevet de l’un de ses fils, que Richard Burton et Marlon Brando l’ont approché de près, qu’elle a connu Samuel Beckett, Harold Pinter mais aussi Harold Wilson le premier ministre et bien connu Jackie Onassis… un véritable Who’s who. On ne s’étonne pas dans ces conditions, qu’au cœur des années 60, en thérapie avec R.D. Laing, le fameux psy de l’époque, elle tâte du LSD.
Mais sa vie ce sont aussi, ses démêlés avec la justice pour conserver la garde de ses enfants – pas facile quand l’Establishment voit son mode d’existence et les preuves qu’elle en donne par ses écrits qui contestent l’ordre moral, la famille, parlent de sexualité et font tâche au cœur du drame irlandais qui connait la guérilla avec l’IRA. Certains de ses livres sont interdits, certains sont brûlés.
Ces mémoires sont aussi une œuvre littéraire dans le sens où il y règne un certain flou pour le lecteur – ce qu’on pourra éventuellement estimer être le défaut de ce bouquin. Parfois on a du mal à situer l’époque où se déroule les faits, on glisse de la simple fille de la campagne s’engageant en littérature à la femme ayant une petite notoriété sans trop comprendre comment ou du moins, sans s’en apercevoir. Des ellipses, des repères chronologiques pas évidents, quelques (rares) phrases dont on ne saisit pas le sens ou incrustées dans un paragraphe sans aucun rapport semble-t-il. Par contre c’est joliment écrit, le ton est posé, on n’y sent ni amertume, ni regrets si ce n’est peut-être une quête d’amour perpétuelle, juste une mise en mots d’une vie riche et bien remplie qui approche de son terme.
« En attendant, il y avait le vertige de la liaison, les multiples tours et détours, les sagesses reconsidérées, les alizés soufflant le chaud et le froid et de nouveau le chaud. Il est impossible de saisir l’essence de l’amour par l’écrit, seuls demeurent les symptômes, l’absorption érotique, l’immense disparité entre les temps passés ensemble et les temps de séparation, le sentiment d’être exclu. Je me souviens d’une amie me téléphonant pour me raconter une soirée dont Lochinvar était le principal invité, comment il s’était donné un coup de peigne en passant devant un miroir de l’entrée, et toutes les femmes qui l’adulaient. J’aurais marché sur l’eau pour être là-bas. Peut-être ma demande d’amour était-elle excessive pour lui faire une place dans la vie quotidienne. »
Edna O’Brien Fille de la campagne Sabine Wespieser Editeur - 476 pages – Cahier photos inclus
Traduit de l’anglais (Irlande) par Pierre-Emmanuel Dauzat
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