Tim O’Brien : Au lac des Bois
16/03/2015
Tim O'Brien est le nom de plume de William Timothy O'Brien, né en 1946 dans le Minnesota. O'Brien est diplômé en sciences politiques de Macalester College, où il a été président de l'association des étudiants, en 1968. Cette même année, il est enrôlé dans l'armée américaine et envoyé pour deux ans au Viêtnam, où sa division comprenait l'unité qui fut impliquée dans le massacre de My Lai. L'essentiel de son œuvre, entamée en 1973, relate son expérience de cette guerre et son impact sur les soldats américains qui y ont combattu. Aujourd’hui O'Brien vit dans le centre du Texas et enseigne à l'université du Texas-San Marcos. Au lac des bois, paru en 1996, vient d’être réédité.
Après une sévère déculottée aux élections sénatoriales, John et Kathy Wade tentent de retrouver un second souffle et font une retraite dans une petite maison à l’écart du monde, entre les forêts du Minnesota et le lac Supérieur. Un jour, Kathy ne revient pas d’une promenade sur le lac. Noyade, fuite pour refaire sa vie ? Les recherches s’organisent et des hypothèses troublantes commencent à émerger.
Encore un de ces livres où il ne faudrait rien dire de son contenu pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur potentiel mais alors, comment vous inciter à le lire ? Le premier attrait du roman réside dans sa construction déstructurée. Le passé, sensé éclairer le présent n’arrive qu’à posteriori dans la narration et même pas de façon linéaire mais par petites touches, ce qui créé un splendide climat de mystères divers.
Le personnage de John Wade évolue dans la perception que l’on s’en fait, au fil des pages, ici l’on s’émeut de son enfance avec le père suicidé, ailleurs on s’intrigue de son comportement malsain lorsqu’il espionne sa petite amie, là on le suspecte d’être un manipulateur – dans tous les sens du terme – doué (il adore les tours de prestidigitation) et quand surgissent des éléments d’informations sur son activité au Vietnam, on angoisse carrément. Tous ces faits sans narration chronologique comme je l’ai déjà dit. Et puis cette Kathy, elle aussi recèle des zones d’ombres.
Tim O’Brien nous embringue dans ces zones de l’esprit où le Bien et le Mal n’ont plus cours quand les acteurs ont subi ou vécu des traumatismes profonds. Comme ce John Wade et ses épouvantables souvenirs de My Lai qu’il aura tenté toute sa vie d’enfouir et de faire disparaitre de sa conscience ; lui le grand magicien, le Sorcier des rizières du Sud-est asiatique, atteint les limites de ses pouvoirs. Quand la mémoire et la culpabilité ne font pas bon ménage, le cerveau n’a plus qu’une seule issue, le déni. Effacer, faire disparaitre, éliminer…
Le récit est ponctué d’extraits de livres, de dépositions à la cour martiale après My Lai ou bien de notes de bas de page où l’auteur s’adresse au lecteur, fiction et réalité mêlées pour nous embrouiller un peu plus encore. Un tel roman ne pouvait s’accommoder d’une fin simpliste. Rassurez-vous, ce n’est pas le cas.
« La manière dont je vois les choses, c’est qu’il est rentré bien secoué, bien ravagé, puis il a épousé Kathy et ils se sont embarqués dans cette grande histoire d’amour. Jamais vu deux personnes aussi tripoti-tripota. Donc il reconstruit sa vie. Ne dit pas un mot de cette saloperie au Vietnam – ni à sa femme ni à moi ni à personne. Et puis, au bout d’un moment, il ne peut plus rien dire. Il est comme pris au piège, vous comprenez ? C’est ma théorie. Je ne pense pas que ça ait commencé comme un mensonge volontaire, simplement il n’a pas moufté – mais qui aurait déballé ça ? – et assez rapidement il a sans doute dû s’auto-persuader que ça n’avait jamais eu lieu. Ce gars-là était un magicien. Il savait tromper son monde. Sûr qu’il m’a bien baisé… »
Tim O’Brien Au lac des Bois Gallmeister collection Totem - 310 pages –
Traduit de l’américain par Rémy Lambrechts
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