Charles Frazier : A l’orée de la nuit
27/07/2015
Charles Frazier, né en 1950 à Asheville en Caroline du Nord, est un romancier américain. Il élève actuellement des chevaux dans une ferme près de Raleigh en Caroline du Nord, où il vit avec sa fille et son épouse qui enseigne la comptabilité. Son premier roman, Cold Mountain (1997), l’a propulsé aux premiers rangs des grands écrivains américains contemporains, surtout après qu’il ait été adapté au cinéma par le cinéaste britannique Anthony Minghella en 2004 avec Jude Law et Nicole Kidman à l’affiche. Son troisième ouvrage, A l’orée de la nuit, est paru en 2014.
Au cœur des Appalaches, Luce une jeune femme au passé difficile après un viol, vit seule en pleine cambrousse, jusqu’au jour où l’administration lui confie la garde de Franck et Dolorès, les deux gamins jumeaux de sa sœur Lily, assassinée par Bud son époux, sous leurs yeux. Les deux gosses traumatisés, se sont retranchés dans le mutisme et des réactions imprévisibles autant que violentes. La vie de Luce va se retrouver chamboulée à un plus d’un titre. Devoir rééduquer les deux enfants, si c’est encore possible ; gérer les approches bienveillantes de Stubblefield, son nouveau propriétaire, alors qu’elle fuit les hommes depuis plusieurs années ; et surtout, faire face à une menace mortelle, le retour au pays de Bud, innocenté par la justice, venu reprendre un magot (produit de ses rapines) qu’il pense détenu par les mômes…
Passons rapidement sur la vague ressemblance entre cette course au magot et le célèbre film, La Nuit du chasseur avec Robert Mitchum. Une parenté évidente mais sans suite, point final. Quand un roman débute par une phrase aussi simple mais aussi lourde de sous-entendu que : « Les nouveaux enfants adoptifs de Luce étaient beaux, menus et violents » vous pouvez vous attendre à un bon bouquin, la suite vous démontrera que vous étiez en-dessous de la vérité. Tout est parfait dans ce roman !
J’ai adoré le style et l’écriture de Charles Frazier, très détaillée de ces détails qui trahissent le vécu ; exsudant un amour immodéré pour la nature ; et ce rythme – un aspect auquel je suis particulièrement sensible – que je qualifierai de majestueux, c'est-à-dire pas très rapide mais loin d’être mou, fait de phrases bien dimensionnées procurant à la lecture, l’équivalence d’un bon vin restant en bouche lors d’une dégustation. La narration avance, envoûtante, car le récit s’enrichit à posteriori d’informations cruciales sur les liens entre tel ou tel, ou bien de pans de vie de chaque acteur, ce qui renforce la dramaturgie. De plus l’écrivain néglige une chronologie basique trop simple tout en évitant une alternance de passé/présent bien usée, il mène sa barque, et nous avec, dans une voie médiane plus attrayante intellectuellement parlant.
Jamais l’écrivain ne force le trait, il y a de la violence, une poursuite, du suspense, mais pas dans le sens traditionnel d’un thriller, Charles Frazier la joue plus subtile, utilisant la fascination pour sidérer son lecteur. Même la fin est réussie, un écueil particulièrement coriace en général mais ici, bien négocié.
J’ai emprunté ce livre à ma médiathèque municipale, en fin d’ouvrage sur le petit carton réservé aux avis des lecteurs, quelqu’un a écrit « Ennuyeux ». Comment peut-on porter un tel jugement sur ce roman ? Personnellement, je le trouve magnifique pour ne pas dire plus.
« Après l’incident du bain, Luce ne revit jamais les enfants pleurer. Ce n’était pas pour eux un moyen de communiquer. Ils exprimaient leurs émotions par des biais autres que les gémissements, les tremblements du menton et les larmes. Parfois ils te sautaient dessus, les poings serrés, pour essayer de se battre avec toi. Parfois, aussi, ils détalaient vers la forêt. Ils émettaient un son semblable à un grognement, et puis divers hurlements, hululements et cris aigus. Ou alors, ils te coulaient un regard assassin qui suggérait que, s’ils avaient pesé cinquante kilos de plus, ils t’auraient tuée sur-le-champ. »
Charles Frazier A l’orée de la nuit Grasset – 383 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent
2 commentaires
J'espère que vous avez écrit "magnifique", pour ne pas dire plus. ;-)
Sibylline, l’espace réservé aux appréciations des lecteurs sur la fiche collée sur la dernière page des livres de ma médiathèque étant particulièrement restreint, et pour contrebalancer la mauvaise opinion du lecteur précédent, je n’ai pas hésité à forcer le trait : « roman magnifique et écriture sublime ». Et ce n’est même pas un mensonge, je le pense réellement !
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