Zadie Smith : Sourires de loup
16/08/2015
Zadie Smith, née en 1975 dans une banlieue du nord-ouest de Londres, est une écrivaine britannique, fille d'un père anglais et d'une mère jamaïcaine qui émigre en Angleterre en 1969. Ses parents divorcent alors qu'elle est encore adolescente et à l'âge de 14 ans, change son prénom de Sadie en Zadie. Elle étudie la littérature anglaise à l'université de Cambridge. Son premier roman, Sourires de loup, paru en 2000 a reçu plusieurs prix.
Archie Jones l’Anglais et Samad Iqbal le Bengladais, se sont connus durant la Seconde Guerre Mondiale avant de se retrouver en 1975 au nord de Londres, dans le quartier des exilés et des déracinés. Le roman va nous raconter leurs deux vies, leurs mariages, leurs familles – deux clans distincts - et leurs problèmes jusqu’à la fin du siècle, dans cette Angleterre multiculturelle en pleine mutation.
Je n’ai lu que deux romans de cette écrivaine mais je vois qu’ils présentent les mêmes caractéristiques. Une écriture dense et foisonnante - qui freine l’entrée du lecteur dans le bouquin - où la mixité culturelle tient le rôle principal. Ce qui frappe le plus ici, c’est qu’il s’agissait de son premier roman et pour un coup d’essai, c’est époustouflant de virtuosité. Plus de cinq cents pages débordant de personnages divers et exotiques, de situations souvent drôles ou loufoques, de réflexions sur le monde comme il va dans un Londres loin des clichés touristiques habituels ou de cette Albion so british…
Zadie Smith écrit ses romans comme d’autres mitonnent des ragoûts en y incorporant tout ce qui leur tombe sous la main. Il y a un suicide raté, une seconde épouse bien plus jeune, des fils jumeaux Magid et Millat, les Témoins de Jéhovah, Allah et ses préceptes, des odeurs de curry et de shit, des digressions sur à peu près tout, des références au Mur de Berlin et à Salman Rushdie, des engueulades féroces, des sentiments non partagés, des problèmes de couples, des personnages tous très attachants malgré leurs défauts ou à cause de leurs défauts, un fils envoyé en Inde pour lui inculquer la vraie religion tandis que l’autre se vautre dans le sexe. Le pauvre Samad a bien du mal à comprendre le monde qui l’entoure, sa femme et ses fils. Le choc des cultures le chamboule tellement qu’il sera tenté de fauter avec une enseignante de ses gamins.
Problèmes d’intégration et d’éducation des enfants, poids de la religion, comment concilier les enseignements du Coran et la redoutable facilité avec laquelle on peut s’empiffrer des fruits du péché dans nos sociétés occidentales ? L’auteure s’interroge aussi sur nos racines, imaginant qu’un jour peut-être, elles « n’auront plus d’importance parce qu’elles ne peuvent ni ne doivent en avoir… »
Zadie Smith a un bagout exubérant, tout part dans tous les sens mais rien n’est gratuit et tout fait sens, un incident de l’époque de la Guerre cité en début de roman reviendra en fin d’ouvrage pour boucler en beauté cette fresque colorée et bruyante, menée de main de maître par un écrivain affirmé dès son premier opus. Seul bémol, ou revers de la médaille, cette avalanche explosive ne manque pas de saouler le lecteur qui se sent pris entre deux sentiments opposés, abandonner le livre qu’il sait de qualité, ou s’accrocher vaillamment. Je vous conseille de tenir bon, la récompense est au bout.
« - Faut te tenir un peu au courant, mon vieux, dit Shiva, parlant lentement, patiemment. « Organes de la femme, point G, cancer des testicules, ménopause, andropause… la crise de la cinquantaine fait partie de ces trucs. C’est le genre d’informations que l’homme moderne se doit de posséder. – Mais je n’en veux pas de tes informations », cria Samad, se levant et se mettant à arpenter la cuisine. « C’est précisément là qu’est le problème ! Je n’ai pas envie d’être un homme moderne ! J’ai envie de vivre comme j’étais fait pour vivre. Je voudrais retourner dans mon pays ! – Qui n’en a pas envie ? » murmura Shiva, retournant les oignons et les poivrons dans la poêle. »
Zadie Smith Sourires de loup Editions France Loisirs – 533 pages –
Traduit de l’anglais par Claude Demanuelli
6 commentaires
J'ai lu récemment des essais, où elle évoque son père et sa vie (un peu), et aussi des écrivains. C'est passionnant. A part ça, j'ai un bon souvenir de sourires de loup.
Zadie Smith est le type même d’écrivain dans lequel – quelque soit l’intérêt que l’on porte à ses livres – on voit tout de suite qu’il y a du talent ! Personnellement je ne suis pas un « fan » de ses romans mais je suis sacrément impressionné par son écriture et je lirai d’autres de ses bouquins.
Je n'ai encore jamais lu cet auteur. Son côté foisonnant et un peu "fourre-tout" me retient justement et j'attends toujours une intrigue un peu plus linéaire pour me lancer. C'est probablement peine perdue car cela semble être le style Smith... Il faudra bien que je saute le pas un jour.
Zadie Smith est un grand écrivain, elle mérite donc d’être lue, au moins une fois ! Je comprends très bien vos réticences, je les ai exprimées dans mon billet. Comme je l’ai dit, je n’ai lu que deux de ses romans, l’autre étant « Ceux du Nord-Ouest » que je conseillerais prioritairement. Attendez ce qui vous paraîtra être le bon moment mais tentez l’expérience Zadie Smith et revenez nous dire ce que vous en avez pensé…
dans les commentaires on sent que c'est "un grand écrivain" mais dans le billet sur le roman , j'ai éprouvé une crainte devant tant de foisonnement , la crainte de me perdre et de finir par lire en diagonale
C’est effectivement le risque ! Objectivement, c’est un grand écrivain, mais tous les lecteurs ne seront pas obligatoirement conquis pour les raisons que vous avez bien comprises. Seule l’expérience personnelle permettra à chacun de se faire une idée (comme toujours) mais dans ce cas, je pense qu’il faut essayer, ne serait-ce que pour avoir un avis autorisé sur Zadie Smith.
Les commentaires sont fermés.