Jim Harrison : Péchés capitaux
07/09/2015
Jim Harrison, de son vrai nom James Harrison, est un écrivain américain, né en 1937 dans le Michigan aux États-Unis. La mère de Jim Harrison est d'origine suédoise et son père était agent agricole. A l'âge de huit ans, son œil gauche est accidentellement crevé au cours d'un jeu. A 16 ans, il décide de devenir écrivain et quitte le Michigan pour vivre la grande aventure à Boston et New York. En 1960, à l'âge de 23 ans, il épouse Linda King. Ils ont eu deux filles, Jamie et Anna. Il obtient cette même année une licence de lettres mais renonce rapidement à une carrière universitaire. Pour élever ses filles, il rédige des articles de journaux, des scénarios, en même temps que sont publiés ses premiers romans et ses recueils de poèmes. En 1967, la famille retourne dans le Michigan pour s'installer dans une ferme et depuis il partage son temps entre le Michigan, le Nouveau-Mexique et le Montana. Péchés capitaux, son tout nouveau roman, vient de paraître.
Jim Harrison (et curieusement, j’ai exactement la même problématique avec Philippe Djian) m’oblige toujours à un long préambule avant d’attaquer mon billet. J’ai adoré ses premiers romans en leur temps (Légendes d’automne (1981), Dalva (1989), etc.) puis il y a eu de grosses déceptions mais trop tard, j’étais ferré et je continuerai à le lire jusqu’à la fin. Depuis plusieurs années donc, j’ai fait mon deuil des grands romans espérés et je m’efforce de le lire en tenant compte de l’état actuel de sa production. C’est aussi pourquoi, je me rue sur ses ouvrages dès leur parution en évitant de lire les commentaires médias/blogs, pour me faire ma propre opinion – que j’espère objective – et écrire mon billet sans répéter comme un perroquet ce que les autres en disent.
Péchés capitaux remet en selle l’inspecteur Sunderson que nous avions découvert dans Grand maître (2012). Le flic à la retraite s’est offert un bungalow dans le Nord Michigan pour se consacrer à son activité favorite, la pêche. Mauvaise pioche quand il constate bien trop vite que ses voisins, la famille Ames, sèment la terreur dans toute la région. Même les autorités locales s’avouent impuissantes face à ce clan (hommes, femmes, enfants) qui vit en dehors des lois et commet les crimes les plus abjectes. Quand une série de meurtres dans cette famille, éclate en pleine saison de pêche à la truite, Sunderson se sent obligé à reprendre du service.
Honnêtement, le début du bouquin m’a fait craindre le pire, une histoire de chantage pas très claire qui amorce très chaotiquement le reste du roman mais, une fois le livre refermé, je le dis très clairement, ce nouveau Jim Harrison n’est pas mauvais du tout, il est même d’un bon niveau au regard de ses dernières productions. Disons qu’il m’a agréablement surpris, ce qui est déjà beaucoup.
Alors certes, ses détracteurs vont nous ressortir les sempiternelles mêmes critiques, les fameux 3 B si chers à l’écrivain, c’est-à-dire, Baise/Boisson/Bouffe dans l’ordre de ses préférences ( ?). Oui, les allusions sexuelles sont permanentes, mais il y a très peu de sexe réellement décrit et les fantasmes d’un homme âgé (Sunderson a 66 ans/Harrison a 78 ans) pour les petits culs de jeunettes (ou non) délurées peuvent agacer dans un premier temps (je ne l’avais pas accepté dans l’un de ses précédents romans) mais ici, sans m’en réjouir plus que cela, j’y ai trouvé une sorte d’humour mêlé à ce qui pourrait s’apparenter à une preuve de vitalité forçant l’admiration, qui n’empêche pas la lucidité, « Je crois que l’instinct sexuel est profondément ancré, enfoui, encodé au fond de nous, et qu’il nous pousse à nous ridiculiser. ». Oui encore, Sunderson boit comme un trou et ça lasse. Oui enfin, il bouffe énormément. Mais ces trois types d’excès, dans ce roman du moins, m’ont paru une provocation contre les diktats imposés par le monde moderne, sur nos modes de vies, hygiène alimentaire et le politiquement correct en général. Le vieux, qui pour moi n’est pas un mauvais bougre, n’a que faire de ces cris d’orfraie, il assume ses choix de vie. Et tant qu’à mourir, que ce soit après avoir vécu pleinement, même si quand le roman s’achève, Sunderson semble avoir opté pour une sorte de rédemption…
Je ne m’attarde pas sur l’intrigue qui vaut ce qu’elle vaut (le bouquin est sous-titré « faux roman policier ») mais permet à Jim Harrison de critiquer vertement les violences, toutes les violences : maltraitance des femmes et des enfants, viols sur mineures, incestes, crimes de sang… Un mal profond dans son pays, « La violence est une tradition ancestrale en Amérique ». C’est aussi le thème que Sunderson, se sentant des velléités d’écrivain, se propose de traiter en rédigeant un essai sur ce qu’il nomme le huitième péché capital. L’écriture étant un des autres sujets abordés par l’auteur, « Il faut travailler toute une vie pour écrire correctement, et même ça ne suffit pas. Il y a des centaines de milliers d’écrivains sur terre ; mais quelques-uns seulement savent écrire. »
Il faut lire Harrison comme on lit Rabelais, sous la truculence et l’outrance se cache une réflexion critique sur le monde, sur l’Amérique.
« Peut-être devrait-il rédiger un essai sur le huitième péché capital, la violence. Peut-être pourrait-il devenir pasteur, ayant eu la vocation sur le tard ? Grâce à sa longue expérience d’inspecteur de police, il avait beaucoup à dire sur la violence. Pourquoi certains hommes se mettent-ils à boxer des femmes qui ne peuvent pas se défendre ? Il avait assisté à de vrais bains de sang. Il avait détesté prendre certaines dépositions à l’hôpital. On n’avait pas le droit de fumer dans les hôpitaux, alors il avait rejoint les toilettes en quatrième vitesse pour tirer quelques bouffées. Rien ne donne plus envie de fumer ou de siffler un verre que de parler à une femme qui a le visage en bouillie, quelques dents manquantes et un bras dans le plâtre. Si elles lui posaient la question, il leur conseillait toujours le divorce. »
Jim Harrison Péchés capitaux Flammarion – 350 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent
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