Mary Costello : Academy Street
20/10/2015
Originaire de Galway, Mary Costello vit à Dublin. Elle est l'auteur d'un recueil de nouvelles largement acclamé par la critique anglophone. Academy Street, son premier roman, est paru récemment.
Nous sommes en Irlande dans les années 40, dans le vaste domaine familial d’Easterfield et Tess a sept ans lorsque sa mère meurt de la tuberculose. De ses études d’infirmière à son départ pour New York à l’invitation de sa sœur Claire jusqu’aux dernières années de sa vie, nous suivons cette enfant puis cette femme dans son parcours à travers la vie.
Les plus belles histoires sont souvent des histoires tristes, Academy Street nous conte une belle histoire. Vous connaissez la formule, « une fois le livre refermé vous n’oublierez pas le portrait de cette femme », je crois qu’il s’applique avec justesse à ce roman.
Il y a des êtres qui semblent condamnés d’avance à porter une croix toute leur existence, comme cette Tess dont la perte de sa mère va la plonger dans une solitude silencieuse qui la marquera à jamais. Toujours en marge des autres, confinée dans sa bulle intérieure qui la condamne à une solitude virtuelle dans un premier temps, puis bien réelle quand sa sœur aînée et adorée Claire partira pour l’Amérique, « La sensation de proximité qu’elle éprouvait envers ses frères et sœurs, ce lien si fort, elle ne l’avait avec personne d’autre ». Quand à son tour elle rejoindra New York, une vie nouvelle sur un autre continent plein de promesses devrait être signe d’espoir mais le sillon était tout tracé, manque de confiance en soi, dévalorisation d’elle-même, timidité, « Jamais de toute sa vie elle n’avait vraiment su quoi faire, comment agir », elle ne peut se lier avec personne, les hommes l’indiffèrent et donc ils l’ignorent et quand l’un d’eux, David, semblera combler ses vœux, il l’abandonnera en lui laissant un souvenir cuisant en son sein, d’où d’autres tourments.
La pauvre Tess nous file un peu le bourdon, les décès familiaux s’enchaînent, ses souffrances psychologiques s’accumulent, sa profonde solitude et son manque d’amour, nous attristent d’autant plus qu’en tant que lecteur nous ne pouvons rien y faire, seule Mary Costello…. Mais ce serait un autre roman, or pourquoi en faire un autre puisque celui-ci est très bon.
Le texte est fait de phrases très courtes le plus souvent, presque brutalement jetées sur le papier, très sobre. Et cette sobriété, contre toute attente, amplifie l’émotion qui étreint le lecteur durant tout le roman. Le temps s’écoule en Amérique et l’auteure le signifie discrètement, un mot ou une demie phrase, mais nous comprenons que Kennedy vient d’être assassiné, qu’il y a le Vietnam ou plus tard l’effondrement des tours.
Un très beau roman, très émouvant ou poignant parfois, sans effets ostentatoires pour vous tirer la larme, s’accordant parfaitement avec la saison automnale et humide, et Billie Holiday en sourdine.
« Ce n’était pas des réponses ou des consolations qu’elle trouvait dans les romans, mais un degré d’empathie qu’elle n’avait croisé nulle part ailleurs et qui atténuait sa solitude. Ou qui la renforçait, comme si une partie d’elle-même – son côté ermite – se trouvait à portée de main, attendant d’être incarnée. La pensée qu’à une époque lointaine, une personne – un étranger qui écrivait à son bureau – avait su ce qu’elle savait, ressenti ce qu’elle ressentait dans son cœur plein de vie, lui donnait confiance et force. Il est comme moi, se disait-elle. Il partage mes sensations. »
Mary Costello Academy Street Editions du Seuil – 187 pages –
Traduit de l’anglais (Irlande) par Madeleine Nasalik
2 commentaires
Ah la tristesse irlandaise... si l'auteur parvient à émouvoir sans en faire trop, je suis assez preneuse.
Sandrine, le roman est émouvant ou poignant, selon les sensibilités, mais jamais larmoyant – pour moi, du moins. Vous pouvez y aller…. Votre remarque sur la tristesse irlandaise est plutôt juste ; je ne sais pas s’ils ont un mot, comme le « saudade » des portugais, si ce n’est pas le cas, il faudrait qu’ils l’inventent…
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