Alfred Hayes : Une jolie fille comme ça
09/01/2016
Alfred Hayes (1911-1985) est un scénariste, poète et écrivain britannique. Né à Londres, Alfred Hayes arrive aux Etats-Unis avec ses parents à l'âge de 3 ans. Il fait ses études à New York puis devient ensuite journaliste pour le New York Journal-American et le New York Daily Mirror, tout en commençant à publier ses poésies (comme Joe Hill, dont la version chantée a été rendue célèbre par Joan Baez). En 1945 à Rome, il rencontre Roberto Rossellini pour qui il travaillera au scénario de Païsa, mais il bossera aussi avec John Huston, Nicolas Ray, George Cukor... à moins qu’il n’écrive des scénarios pour la série Mannix (Hé ! les anciens, ça vous rappelle quelque chose ?) C'est aussi à la même époque qu'il commence à écrire son premier roman. Une jolie fille comme ça, son sixième opus, paru en 1958, vient d’être traduit chez nous.
Los Angeles, en bord de mer. Alors qu’il s’échappe d’une fête hollywoodienne où il s’ennuyait, un scénariste en vogue aperçoit une jeune femme entrer dans l’océan en contrebas devant la villa. Il pense d’abord qu’elle barbote mais une grosse vague se forme et la fille coule. L’homme se jette à l’eau et la sauve.
Sur ce point de départ finalement assez mince voire classique, Alfred Hayes va construire un roman psychologique décrivant les états d’âme entre un homme et une femme qui passeront de l’indifférence aux sentiments plus intimes avec des phases de crises intenses, agréables ou non, puis à la séparation. Un roman ou une étude ? On peut s’interroger, car si la forme générale est romanesque, on note que l’homme comme la femme, n’ont pas de nom ; comme des sujets de laboratoire pour un scientifique, ici un spécialiste de l’âme humaine.
Lui, le narrateur, approche de la quarantaine, sa femme et leur fille vivent à New York, mais son boulot pour les studios de cinéma l’amène à faire de fréquents allers et retours entre la côte Est et la Californie. Il n’est pas carriériste ni homme d’argent, même s’il est grassement payé. Elle, vingt-cinq ans, habite ici depuis cinq ans, dans un minuscule appartement tristounet, dans l’espoir de décrocher un rôle au cinéma. Insuccès professionnel, rupture sentimentale récente, son barbotage dans l’océan s’apparente à une tentative de suicide. Après l’incident, elle contactera l’homme pour le remercier et lui, par une sorte de simple réflexe – car « je n’étais pas certain qu’elle me plaisait » - l’invitera à dîner. Dès lors le processus est enclenché, même si ni l’un, ni l’autre, ne le sait.
L’écrivain est très habile car il manie deux sentiments contradictoires, un couple qui reste anonyme, donc lointain, un regard quasi clinique sur l’évolution de leur relation, nous les regardons vivre comme on regarderait des rats dans une cage de laboratoire, et pourtant, elle comme lui nous paraissent très proches néanmoins, à leur manière. Elle et lui, de même, nous sont parfois sympathiques, d’autres beaucoup moins au fur et à mesure que les caractères se dessinent. Je ne vais pas entrer dans les détails de leur liaison amoureuse, je vous les laisse découvrir, mais plus la lecture avance plus il devient évident que pour l’écrivain, les dés sont pipés par avance. Elle, ne sera qu’une petite starlette en jamais devenir et lui, un séducteur pas acharné, mais séducteur quand même. Si Alfred Hayes se penche particulièrement sur les caractères, il n’oublie pas pour autant le contexte, le monde du cinéma et ses mirages, les rêves qui tournent au cauchemar, les destins pris dans l’inéluctable étau des probabilités, avec un ton alliant le cynisme à l’ironie.
Un roman très court et plutôt bon, avec d’excellents passages comme la crise de paranoïa du chapitre quatorze, la longue séquence de corrida à Tijuana…
« Le petit derrière était à présent trempé et la casquette de marin avait quitté sa tête. Elle se releva, toisant le Pacifique, dans une pose moins fascinante que celle qu’elle avait offerte au ciel indifférent quelques minutes plus tôt. Elle avait l’air à présent d’une nymphe en complète déconfiture. J’appuyai mes coudes sur la rambarde de la petite véranda, me réjouissant du désastre. J’en avais marre de toute cette clique : leurs jeans décontractés, leurs baskets de plage et leurs tee-shirts, leurs dos-nus à bretelles en Vichy et leurs sandales, leur candeur et leurs charmes rosis par le soleil. (…) Elle s’éloignait dans l’eau, et il était à présent clair que, contrairement à ce que j’avais cru plus tôt, elle n’était pas là pour barboter. Une grosse vague se forma et la fille coula. Elle coula pour de bon. Je criai quelque chose et sautai par-dessus la rambarde. »
Alfred Hayes Une jolie fille comme ça Gallimard - 167 pages –
Préface et traduction de l’anglais (Etats-Unis) par Agnès Desarthe
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