Philip Roth : Indignation
28/03/2016
Philip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut et en octobre 2012 il a déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire. Indignation, paru en 2010, s’inscrit dans le cycle Némésis – celui des romans courts – aux côtés de Un homme (2007), Le Rabaissement (2011) et Némésis (2012), tous chroniqués sur ce blog.
En 1951, seconde année de la guerre de Corée, Marcus Messner, jeune homme de dix-neuf ans, travailleur et sérieux, d’origine juive mais non pratiquant, poursuit ses études au Winesburg College, dans le fin fond de l’Ohio pour s’éloigner de Newark, dans le New Jersey, où habite sa famille et ainsi échapper à la domination de son père, boucher de profession. Un père en proie à une sorte de folie parental envers son rejeton, qu’il surprotège à outrance, amenant Marcus à le détester et s’enfuir.
Marcus, le narrateur, va découvrir un monde nouveau, celui du collège, sa difficile promiscuité avec ses collègues de chambre, les Fraternités étudiantes qui tenteront en vain de l’enrôler dans leurs rangs, les lois et règles régissant l’établissement scolaire auxquelles il ne pourra se plier, beaucoup de motifs d’indignation pour notre héros qui fredonne in petto La Marche des Volontaires, l'hymne national chinois, qui s’avérera d’une cruelle ironie lors de l’épilogue presque ( car des indices disséminés le laisse envisager) surprenant de ce roman.
Un roman d’apprentissage, donc passant par le sexe évidemment et plus encore quand c’est Philip Roth qui tient la plume. Marcus va rencontrer Olivia, étudiante elle aussi mais au passé chargé, qui prendra en main notre puceau, à son plus grand étonnement. Ce qui l’amènera à s’imaginer des sentiments qui n’en sont pas et pervertir son jugement. Nous sommes dans l’Amérique du début des fifties et la gamine sort du lot, si l’on s’en réfère aux critères de l’époque.
Comme souvent chez l’écrivain, ses héros doivent se débattre entre des contradictions ou des atermoiements, des erreurs et des audaces, ou bien ici entre des extrêmes (« à un bout ma mère et à l’autre mon père ; à un bout Olivia adorable et mutine, et à l’autre Olivia démolie. Et entre eux tous, moi qui me défendais hors de propos avec mes stupides « Allez vous faire foutre ! »). Marcus a fui son père comme il fuit ses collègues étudiants, s’évitant les discussions, mais il n’hésite pas à pousser des coups de gueule (voir à vomir au sens premier du terme, dans une scène hilarante) contre le doyen du collège ! Sachant qu’une exclusion du collège l’enverrait directement en conscription et participer à la guerre de Corée. De cet enchainement d’actes finalement assez banaux découlera une conséquence dramatique pour Marcus, ce qui constitue le thème de ce livre.
Un bien bon roman - mais avec Philip Roth je ne suis jamais déçu - incluant une longue diatribe antireligieuse inspirée de l’œuvre de Bertrand Russel, de l’humour de situation (« il n’y avait pas moyen d’avoir l’air nonchalant juché sur un couvercle de cabinets, alors je redescendis… »), du tragique quand on suit la détérioration mentale du père de Marcus pourtant inspirée par l’amour et une légère dose d’épices fleurant le liquide séminal.
« Oublie l’assistance à l’église obligatoire, oublie Caudwell, oublie les sermons du Dr Donehower, les heures de couvre-feu monacales des étudiantes, et tous les autres défauts de cette fac, prends les choses comme elles sont et fais-en ton affaire. Parce que, en partant de chez toi, tu as sauvé ta vie. Et celle de ton père. Parce que pour le faire taire, j’aurais fini par lui tirer dessus. Maintenant encore, j’aurais pu lui tirer dessus à cause de ce qu’il infligeait à ma mère. Pourtant ce qu’il s’infligeait à lui-même était encore pire. Et comment tirer sur quelqu’un dont la crise de folie à l’âge de cinquante ans ne se bornait pas à fiche en l’air la vie de sa femme et à modifier irrémédiablement celle de son fils, mais ravageait également la sienne ? »
Philip Roth Indignation Gallimard - 196 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Claire Pasquier
2 commentaires
un de mes auteurs préférés même si ce n'est pas quelqu'un qui donne le moral, j'apprécie son style et sa très profonde humanité
Nous avons donc un point commun ! Moi aussi je place Philip Roth parmi mes écrivains préférés, lui trouvant comme première qualité, une écriture/un style, éblouissant par sa simplicité apparente. J’ai lu un tiers de son œuvre, ce sont de nombreux livres, mais je me réjouis de savoir que plus encore attendent que je les ouvre. Je reviens vers Roth régulièrement, sans me presser, comme à une gourmandise que je sais comptée, puisque l’écrivain a cessé d’écrire… Par contre je reste plus réservé sur votre affirmation « ce n'est pas quelqu'un qui donne le moral » car il y a beaucoup d’humour dans ses ouvrages, même si ce n’est pas toujours évident.
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