Romain Gary : Le Sens de ma vie
21/05/2016
Roman Kacew, dit Romain Gary, est un diplomate et romancier français, de langues française et anglaise, né en 1914 à Vilna dans l'Empire russe (actuelle Vilnius en Lituanie) et mort par suicide en décembre 1980 à Paris. Important écrivain français de la seconde moitié du XXe siècle, il est également connu pour la mystification littéraire qui le conduisit, dans les années 1970, à signer plusieurs romans sous le nom d'emprunt d’Emile Ajar, en les faisant passer pour l'œuvre d'un tiers. Il est ainsi le seul romancier à avoir reçu le prix Goncourt à deux reprises, sous deux pseudonymes, en tant que Romain Gary avec Les Racines du ciel (1956) duquel il réclame « la qualité de premier auteur à avoir écrit un livre sur la défense de l’environnement et la protection de la nature » et pour Emile Ajar avec La Vie devant soi (1975).
Le Sens de ma vie (2014), qui vient d’être réédité en poche, est en fait la retranscription d’un entretien filmé accordé à Radio-Canada en 1980, quelques mois avant le suicide de l’écrivain. S’agissant du verbatim de l’émission, on n’y cherchera ni le style, ni le poli de l’écrit. Par contre c’est un excellent moyen de faire connaissance avec cet homme au destin extraordinaire, cette centaine de pages condensant des faits déjà développés, plus longuement, dans ses deux ouvrages autobiographiques, La Promesse de l’aube (1960) et La Nuit sera calme (1974).
Quelle vie, quel parcours ! Gary arrive en France à l’âge de quatorze ans avec sa mère et tous deux s’installent à Nice. Des études de droit puis il s’engage dans l’aviation et rejoint le général de Gaulle à Londres en 1940. Un premier roman en 1945. Cette même année il entre au Quai d’Orsay en tant que diplomate, ce qui l’envoie à Sofia, New York, Los Angeles, La Paz. Un second mariage avec l’actrice Jean Seberg (1963-1970), laquelle se suicidera en 1980. Des romans et des textes à la pelle, plus d’une trentaine sous son nom et une petite dizaine sous divers pseudonymes. Ajoutons-y la réalisation de deux films dont Les Oiseaux vont mourir au Pérou (1968) et vous n’avez-là que les grandes lignes des occupations diverses du bonhomme.
Quand on entre dans les détails c’est encore plus gratiné, digne d’un roman d’aventure de grande envergure. On y voit le rôle important de sa mère (la fameuse mère juive…) et l’invraisemblable épilogue, l’écrivain ne découvrant que trois après le décès de celle-ci ! Sa ténacité à vouloir combattre l’ennemi et son « attachement total et profond » pour le général de Gaulle, à travers des anecdotes extravagantes. Et dans le genre pas croyable, cet épisode croquignolet autant qu’abracadabrant de chantage sexuel auquel il refusera de se soumettre quand il était diplomate et victime des Bulgares…
Il semble que tout ce qui est dit ici soit globalement vrai, pourtant je ne vous cacherai pas que parfois je me suis interrogé. Un homme ayant tellement bourlingué, usé de stratagèmes pour aboutir à ses fins, de pseudonymes divers en littérature au point d’être fait Goncourt deux fois, d’avoir proposé à son éditeur Gallimard deux fois le même bouquin Les couleurs du jour (1952) et Les Clowns lyriques (1979), un tel homme peut-il être cru sur parole ? Me revenait en mémoire cette célèbre citation « Quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende » (L’Homme qui tua Liberty Valence)…
L’entretien s’achève sur une remarque de doute ou de léger désarroi, Romain Gary l’homme d’action, aurait-il été manipulé par la vie/le destin ? « J’ai l’impression d’avoir été vécu par ma vie, d’avoir été objet d’une vie plutôt que de l’avoir choisie… » Quelques mois plus tard, il mettra un terme à cette vie, d’une balle de Smith & Wesson dans la bouche.
« … un jour, au mess, nous avions une soupe au curry, qui est très fortement épicée, comme son nom l’indique, et ils m’ont versé deux verres de whisky là-dedans, et j’ai bu ma soupe sans m’apercevoir que je buvais de l’alcool. Et l’alcool a sur moi un effet qui s’est démontré à cette occasion-là. Je me suis levé, je me suis frotté les mains comme cela et j’ai dit : »On va voir ce que l’on va voir. » Je suis allé au terrain, j’ai pris le Blenheim [bombardier léger de l’armée britannique] et j’ai bombardé avec deux bombes d’exercice le palais du gouverneur de l’Oubangui-Chari. C’était des bombes de plâtre, les dégâts n’ont pas été considérables pour le palais du gouverneur, mais très considérables pour moi. J’ai été cassé et envoyé comme adjudant défricher un terrain dans un régiment disciplinaire de la Légion étrangère. »
4 commentaires
un de mes auteurs préférés .... je ne connais pas cet entretien , je vais certainement le lire , merci
Si vous aimez cet écrivain et comme ce bouquin est très mince, n’hésitez pas !
Alors là, vous enchaînez mes auteurs cultes... Après Maurois, Gary, qui ?
Drieu ? (Pas pour ses idées, bien sûr, juste pour le talent...)
Si Maurois vous devait beaucoup, pour Romain Gary c’est un hasard total que je dois à l’éditeur qui m’a envoyé un carton plein de nouveautés Folio… Mais quand le hasard fait bien les choses, c’est un plaisir accru.
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