Marc Lambron : Les Menteurs
14/08/2016
Marc Lambron, né en 1957 à Lyon, est un haut fonctionnaire, critique littéraire et écrivain français, élu à l'Académie française en 2014. Il est aussi conseiller d'État. En 1983, dans le cadre de sa scolarité à l'ENA, il effectue un stage à l'ambassade de France en Espagne où il écrit son premier livre, L'Impromptu de Madrid. Le présent roman, Les Menteurs, date de 2004.
Karine, Claire et Pierre étaient étudiants en lettres à Lyon, en 1975. Ils se sont aimés et ils se sont quittés. Chacun a vécu sa vie de son côté, sans jamais se revoir jusqu’à ce rendez-vous de retrouvailles trente ans plus tard, à Paris.
J’ai lu ce roman par hasard, pour découvrir l’auteur, et c’était le seul disponible à cet instant dans la bibliothèque de ma ville. Quand je l’ai entamé, je me suis dit que j’avais déjà lu ce genre de roman et que ça n’irait pas bien loin, et puis… ce fut une bonne surprise.
Roman choral où nos trois héros prendront la parole tout à tour, chacun expliquant son parcours, donnant sa vision des évènements vécus, portant son regard sur les deux autres. Si vous n’étiez pas sur Terre durant les trente années séparant 1975 de 2004 pour quelque motif, pas né encore, séquestré par un gourou dans un ashram ou perdu dans la jungle de Bornéo, ce bouquin va vous permettre de rattraper votre retard que ce soit en matière de politique, d’évènements culturels ou sociologiques. Trente années passées au crible dans leurs moindres détails, en suivant Claire l’universitaire un peu guindée devenue mère et professeur, Karine la volcanique journaliste de mode qui ne trouve pas l’homme idéal et Pierre le normalien passé par les soirées au Palace et les antichambres du pouvoir. Des univers différents ouvrant la porte à des constats et des critiques parfois acerbes ou désabusées, toujours pointues.
Lyon, Paris, le campus de Berkeley, Madrid et sa movida ; Lacan, Alain Robbe-Grillet, Jean-Marie Messier pour ne citer que quelques unes des nombreuses célébrités croisées et croquées parfois méchamment ; Led Zeppelin, Le Palace et les Halles, Debbie Harry pour l’ambiance. Tout est trop bien décrit ou documenté pour ne pas être en partie – au moins – autobiographique. Sous couvert de roman, Marc Lambron nous livre une analyse sociologique de cette époque. La différence entre son bouquin et d’autres du même tonneau, c’est qu’il est très cultivé et intelligent, livrant des théories en apparence étonnantes (« J’affirme que l’on peut quitter un homme à cause de François Léotard. »), sur le sexe, le pouvoir, l’argent…
Désenchantement sûrement devant « l’écart qui se creuse entre le personnage que l’on devient et l’individu que l’on pensait être », mélancolie un peu, le portrait d’une génération et de son époque qui s’interroge « Comment, petits frères de mai 1968, irions-nous au-devant d’un nouveau monde qu’il nous appartenait de façonner, et qui nous laissa dépossédés ? »
Un livre commencé dans une gentille indifférence et qui s’avéra au fur et à mesure, beaucoup plus intéressant que ce que j’en imaginais.
« … j’ai compris que l’angélisme fraternel de ma première jeunesse était bien mort. C’était un rêve américain venu des campus des années 60. Il avait existé un temps fragile où, dans une frange non négligeable de la jeunesse occidentale, les attitudes libertaires tendaient à prévaloir, accompagnées de codes de comportement qui valorisaient la gentillesse, le voyage initiatique, l’indifférence à l’argent, le principe d’amitié. Des individus s’efforçaient de vivre selon ces préceptes, et parvenaient à conjurer momentanément les fantômes de la guerre, de l’esprit de possession, des rivalités de classes. Cela avait fait long feu, mais cela avait existé. »
2 commentaires
Merci pour cette découverte, je note qu'il me permettrait de rattraper mon retard sur une grande période ;-)
Un bon roman – si ce thème néanmoins déjà beaucoup traité par d’autres vous intéresse – bien écrit et plein de finesse. Personnellement, ça me donne envie d’approfondir l’œuvre de cet écrivain…
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