Emma Cline : The Girls
26/10/2016
Emma Cline, née en 1989 à Sonoma en Californie, est issue d'une famille de vignerons de la Napa Valley et a grandi dans une fratrie de sept enfants. Elle étudie dans le Vermont puis bénéficie du programme d'écriture de l'université Columbia. En 2014, elle est lauréate du Plimpton Prize avec une de ses nouvelles et la même année publie son premier roman, The Girls, qui vient d’être traduit chez nous.
Nord de la Californie, fin des années 1960. Evie Boyd, quatorze ans, vit seule avec sa mère. Après une dispute avec sa meilleure copine, Evie se tourne vers un groupe de filles dont la liberté et le style hippie la fascinent. Elle tombe sous le charme de Suzanne, l'aînée de cette bande, et se laisse entraîner dans le cercle d'une secte et de son leader charismatique, Russell…
Quand débute le roman, Evie la narratrice, est une femme d’un certain âge, seule, logeant temporairement dans une maison prêtée par un ami. Un concours de circonstance va l’amener à se remémorer une période bien précise de la jeunesse de ses quatorze ans, cet été 1969 où elle sera mêlée, plus ou moins indirectement à un tragique fait divers, le meurtre des occupants d’une villa par une bande de cinglés fascinés par leur gourou.
Oui, je sais, ça ressemble furieusement au bouquin de Simon Liberati (California Girls) à moins que ce ne soit l’inverse, mais c’est aussi pour cela que je l’ai lu. Nous voici donc avec deux romans parus quasiment en même temps, avec presque le même titre, écrits par deux écrivains sans lien commun connu ( ?), un homme et une femme, un français et une américaine, où tous deux mettent en scène le meurtre de Sharon Tate par la bande de Charles Manson en août 69. Quel extravagant hasard est à la base de ce mystère ? A ce jour je n’en ai aucune idée.
Or, et c’est encore une fois la preuve que la littérature peut être miraculeuse, les deux livres construits sur la même base factuelle, n’ont pour ainsi dire aucun rapport l’un avec l’autre ! Par contre les deux, pourraient former un grand tout, ou bien comme deux spots différemment orientés sur la scène de crime, nous offrir un éclairage instructif car complémentaire sur cet horrible massacre. Là où Liberati entre froidement dans les descriptions sanglantes avec les noms véritables des protagonistes, Emma Cline expédie en fin d’ouvrage l’acte lui-même et invente largement tout le reste, se réservant un autre champ de réflexion plus large : la psychologie.
L’écrivain, par le biais de la narratrice, nous emmène au cœur des pensées d’une adolescente se débattant avec des problèmes, assez communs pour être terriblement crédibles : une mère célibataire qui essaie de refaire sa vie au grand désarroi de sa fille, d’où des conflits ; un âge où s’éveille sa sexualité et sa féminité ; une attirance trouble pour une inconnue, Suzanne, une fille libre comme le vent, effrayante et donc fascinante, qui de surcroît s’intéresse à Evie, « Personne ne m’avait jamais regardée avant Suzanne, pas véritablement, elle était devenue ma référence. »
Cette fascination dangereuse va happer Evie, lui donner la force de rompre avec sa vie morne même si on le voit bien, elle ne se lâche réellement jamais, toujours une part d’elle (la fille sage) se surprend à se voir faire telle ou telle chose (poussée par l’autre fille en elle). Elle va découvrir la vie en communauté pouilleuse, l’emprise psychologique de Russel sur les membres de sa troupe, les magouilles, le sexe minable ; toujours dans le sillage de Suzanne, comme sous sa coupe, tel un clébard abandonné s’étant trouvé un nouveau maître. Et pour que le bouquin soit meilleur encore, Emma Cline autorise son lecteur à aimer son héroïne en la sauvant in extremis de l’irréparable…
Un très bon roman, fort bien écrit et très juste dans l’approche psychologique de ses personnages et sa réflexion sur la condition féminine particulièrement quand on est une adolescente.
« Le spectacle de ces filles, l’aspect monstrueusement fœtal du poulet, la cerise de l’unique téton de la fille. Tout cela était tellement criard… c’est peut-être pour ça que je continuai à penser à elles. Je ne comprenais pas. Pourquoi devaient-elles repêcher de la nourriture dans un conteneur ? Qui conduisait ce car, qui avait pu le peindre de cette couleur ? J’avais bien vu que ces filles étaient très proches, qu’elles avaient conclu un pacte familial ; elles ne doutaient pas de ce qu’elles étaient ensemble. La longue nuit qui s’étendait devant moi, ma mère étant sortie avec Sal, me parut soudain insupportable. »
Emma Cline The Girls Quai Voltaire/La Table Ronde – 331 pages –
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch
4 commentaires
Comme j'ai eu la chance de le lire avant de rien savoir, je n'ai eu une petite idée de la référence à une histoire qu'en cours de lecture... Ensuite j'ai eu vent du roman de Liberati.
On a eu aussi la même héroïne dans deux romans parus récemment, La petite femelle et Je vous écris dans le noir.
Histoire de vous donner du grain à moudre sur les sujets tournant dans les airs, curieux, oui. (la quasi simultanéité de parution interdit de penser à du copiage, on n'écrit pas un roman en un mois)
Deux romans traitant le même sujet ce n’est pas banal quand les deux écrivains sont français, mais quand ils sont de deux nationalités différentes…. ??? ET comme vous le faites remarquer à juste titre, il est impossible que l’un ait copié sur l’autre !
J'ai adoré !
Un bon roman effectivement, plus riche encore que ce que j’en laisse entendre…
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