Eugenia Almeida : L’Autobus
05/01/2017
Eugenia Almeida est née en 1972 à Cordoba en Argentine, où elle enseigne la littérature et publie des textes dans de nombreuses revues. L’Autobus, son premier roman, date de 2007. Elle écrit également de la poésie.
Le temps : 1977. Le lieu : un petit village argentin, « torturé alternativement par des inondations et des tempêtes de poussière et de sable », coupé en deux par la voie du chemin de fer qui en sépare les classes sociales. Les acteurs : Ponce, un avocat, Marta, sa femme, Victoria, sa sœur venue passer quelques jours avec eux ; Ruben, le patron de l’hôtel du village, le commissaire de police et deux ou trois autres personnages. Le pitch : Depuis trois soirs, l’autobus qui mène à la ville, traverse le village à toute vitesse sans s’arrêter, laissant Victoria en rade alors qu’elle voudrait rentrer chez elle.
Roman très court, une novella, L’Autobus est une très subtile évocation de l’Argentine durant la période trouble débutée en mars 1976 quand un coup d'Etat dirigé par une junte de militaires (Jorge Videla) renverse Isabel, la troisième femme de Perón, ancienne vice-président de son époux, et sa veuve depuis 1974. Toute la finesse en réside dans le non-dit, aucun nom propre ni référence explicite à des dirigeants ou des faits précis, mais par petites touches comme le ferait un peintre impressionniste, un climat s’instaure, de la surprise à l’inquiétude.
Pourquoi ce bus ne s’arrête pas ? Pourquoi la barrière du passage à niveau est-elle condamnée à rester baissée ? Et ce wagon qui bloque le passage du train ? Qui est ce couple, résidant à l’hôtel et qui veut lui aussi partir du village, un couple adultère disent les commères… Petit à petit des rumeurs ou des informations non vérifiées remontent, un homme et une femme seraient recherchés par l’armée mais déjà la peur s’est abattue sur tous, même le commissaire ne pose pas de questions, il ne fait qu’obéir aux ordres sibyllins de ses supérieurs, « Le silence, c’est la santé ». La réalité de la dictature militaire atteint le fin fond des campagnes.
Il y a aussi le personnage central de Ponce, respectable en apparence, bonnes études et brillant avocat mais qui par dépit et rigidité morale épousera Marta, avant de la condamner à expier sa propre erreur en l’envoyant croupir dans ce bled perdu. Effroyable comportement macho auquel la malheureuse ne pourra survivre qu’en perdant partiellement la raison, seule arme à sa disposition. Ce ponce qui ressentira l’humiliation quand malgré ses grands gestes pour l’arrêter, le bus le frôle à tombeau ouvert, au vu de tout le village, symbole d’une autorité bafouée.
Un bien bon roman.
« Le contremaître lui rappelle un garçon qui vivait près de la rivière. Un jour, il est parti et personne, pas même sa famille, n’a su où. Elle le voyait quelque fois depuis la galerie, pendant qu’elle lisait. Un jour, elle l’a vu passer avec des poissons sur l’épaule, en sifflotant. Elle s’était dit que c’était un homme libre, tellement libre qu’il offensait les yeux des condamnés. A présent, ils l’ont emmené. Peut-être flotte-t-il dans sa rivière, sur le ventre. Comme un livre brûlé. »
Eugenia Almeida L’Autobus Métailié - 125 pages –
Traduit de l’espagnol (Argentine) par René Solis
2 commentaires
C'est dans ce qui n'arrive pas que l'on saisit un certain malaise... Un récit très subtil en effet !
Un roman qui vaut pour son "climat" et qui mérite le détour.
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