Sorj Chalandon : Profession du père
11/03/2017
Sorj Chalandon, né en 1952, est un journaliste et écrivain français. Après avoir travaillé pour le quotidien Libération de 1973 à 2007 comme membre de la presse judiciaire, grand reporter, puis rédacteur en chef adjoint de ce quotidien, il est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Son roman Profession du père est paru en 2015.
Le roman débute par l’enterrement du père, occasion pour Emile le fils unique et narrateur, de revenir sur son enfance dans les années 60, entre un père mythomane et une mère démissionnaire.
Quel extraordinaire roman, qui balade le lecteur entre le rire, l’inquiétude, la rage et l’émotion. Le rire, ou plutôt le sourire, ce sont les affabulations du père qui prétend avoir été militaire dans les chasseurs parachutistes, pasteur pentecôtiste, footballeur professionnel ou bien sommet, quand il lui fait croire qu’il est agent secret, en cheville avec la CIA et qu’il va assassiner le général de Gaulle avec son aide. L’inquiétude, car ces vantardises acceptées par la mère qui se tait et l’enfant qui bien sûr les croît puisque c’est son père qui le dit, créent un malaise de mauvais augure, un pressentiment de malheur à venir tant elles sont extravagantes de délire paranoïaque. La rage, non seulement le père affabule de manière éhontée mais il peut être violent, infligeant des punitions sadiques à Emile ou des humiliations à sa femme. L’émotion, tout du long du roman, devant cet enfant berné et maltraité par son père, cette mère douce et gentille mais dans le déni le plus absolu, « Elle ne voyait rien. Jamais elle n’avait rien vu. »
Les derniers chapitres, quand Emile devenu adulte et marié, retournera voir ses parents sont particulièrement poignants, l’émotion à son paroxysme, les parents âgés, le père fou, la mère « ailleurs », le fils partagé entre amour et détestation, trois solitudes, trois vies qui se sont longtemps côtoyées sans jamais être liées réellement.
Un roman magnifique que je conseille à tous, merveilleusement servi par une écriture qui jamais n’en rajoute, toujours élégante de tact.
« J’ai regardé mon père. Depuis toujours, je me demandais ce qui n’allait pas dans notre vie. Nous ne recevions jamais personne à la maison, jamais. Mon père l’interdisait. Lorsque quelqu’un sonnait à la porte, il levait la main pour nous faire taire. Il attendait que l’autre renonce, écoutait ses pas dans l’escalier. Puis il allait à la fenêtre, dissimulé derrière le rideau, et le regardait victorieusement s’éloigner dans la rue. Aucun de mes amis n’a jamais été autorisé à passer notre porte. Aucun des collègues de maman. Il n’y a toujours eu que nous trois dans notre appartement. Même mes grands-parents n’y sont jamais venus. »
6 commentaires
Et l'homme, rencontré récemment, est tout à l'image de son écriture : simplicité, gentillesse, "élégance et tact" comme vous le dites très bien...
J’appréciais le journaliste de Libé mais je ne l’avais jamais lu comme romancier jusqu’à ce que – et je vous en remercie – vous me le conseilliez il y a quelques semaines… Conseil noté précieusement dans mon petit carnet…
J'ai beaucoup aimé également; j'aime le style de cet auteur.
Un très bon écrivain et comme vous le dites justement, doté d'un style. Ce qui n'est pas si fréquent...
J'ai moi aussi beaucoup aimé ce roman qui m'a permis de découvrir l'auteur que je n'avais pas encore lu. Comme vous, j'apprécie le tact de la plume de Chalandon. J'ai trouvé intéressante la manière dont les thèmes ont été abordés, bien que j'aie été assez déstabilisée au début.
C’est vrai que le début étonne le lecteur mais quand c’est bien écrit – comme ici – il sait qu’il ne s’est pas embarqué dans un roman abracadabrant et donc il savoure, attendant que tout s’éclaircisse…
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