Colum McCann : Et que le vaste monde poursuive sa course folle
25/09/2018
Colum McCann, né en 1965 à Dublin, est un écrivain Irlandais. Son père, un ancien joueur de football professionnel était également éditeur, éveillant un goût pour les livres chez le jeune Colum. Après des études de journalisme, il travaille comme rédacteur pour l'Evening Herald puis devient correspondant junior pour l'Evening Press de Dublin dans les années 1980. A l'âge de 21 ans il décide de se rendre aux Etats-Unis y multipliant les petits boulots avant de partir vivre au Japon puis à New York où il vit aujourd'hui. Et que le vaste monde poursuive sa course folle date de 2009.
New York le 7 août 1974. Pourquoi débuter ce roman à cette date ? Parce que c’est le jour où le funambule français Philippe Petit a traversé, illégalement, sur un filin l’espace entre les deux tours du World Trade Center. L’image va servir de fil conducteur (sic !) et de métaphore à l’écrivain tout au long de ce livre.
Si vous n’êtes pas un familier de McCann, la construction du roman peut surprendre ou dérouter mais c’est aussi ce qui en fait sa valeur. Nous allons donc suivre différents personnages, à priori sans lien direct, mais le talent de tisserand de McCann, hé oui, nous revoilà dans les fils qui se mêlent et s’entrecroisent, parviendra à former une bien belle toile à l’arrivée.
Il y a Corrigan, un Irlandais, prêtre-ouvrier prêt à tout endurer pour sauver une poignée de prostituées du Bronx, « il aidait les gens à devenir ce qu’ils croyaient impossible ». Parmi elles, Tillie et sa fille Jazzlyn. Ailleurs dans la ville, il y a aussi ces cinq femmes, d’origine sociale diverse qui se réunissent régulièrement chez l’une ou l’autre pour évoquer la mémoire de leurs fils tués au Vietnam, comme Claire qui vit près de Central Park dans un immeuble huppé, marié avec le juge Soderberg, ou bien Gloria, seule femme Noire et de condition beaucoup plus modeste parmi cette petite assemblée. Nous croiserons encore Blaine et Lara, un couple d’artistes. Tous seront finalement liés les uns aux autres avec le temps, souvent par le drame ou parfois par la volonté de l’écrivain (c’est Soderberg qui jugera l’infraction du funambule).
Il ya de magnifiques pages dans ce livre : Corrigan est un personnage inoubliable et incompris de tous, à commencer par son frère, que seule la bonté et le dévouement de Gloria peuvent égaler. Mais on ne peut rester non plus insensible aux maladresses de Claire dans son désir de bien faire, ni même jeter la pierre à la prostituée qui elle aussi fait ce qu’elle peut. La grande empathie de l’écrivain pour ses personnages et le ton simple avec lequel il écrit son roman nous les rendent plus proches encore. Par contre, j’ai trouvé que ça tournait un peu à vide avec le couple d’artistes ou bien qu’on s’égarait avec des acteurs secondaires et ponctuels comme ce gamin qui photographie les tags dans le métro et qu’était carrément ennuyeux le passage avec les gentils pirates du téléphone…
Roman éclaté, roman choral, un roman tout en filigrane avec en toile de fond, New York et la guerre du Vietnam mais dans ce monde qui poursuit sa course folle, émergent des silhouettes – ces héros du bouquin - qui donnent un sens à la vie par leurs actes et leurs sentiments.
« Il a pensé que le funambule avait sérieusement préparé son affaire. Un coup de génie, d’accord, pas un coup de tête. Il portait un message avec son corps et, s’il tombait, eh bien il tombait. Dans le cas contraire, il devenait un monument, pas un de ces trucs pompeux, enchâssés dans la pierre ou le bronze, non, un vrai symbole new-yorkais devant lequel on s’exclame : « Non, mais tu le crois, toi ? » De préférence en jurant. A New York, on ponctue ses phrases d’interjections grossières. Même les juges. Soderberg n’était pas amateurs de jurons mais, à certains moments, il leur reconnaissait quelque intérêt. Un mec sur un fil, naviguant dans les airs au-dessus du cent dixième étage, non, mais putain, tu le crois ? »
Colum McCann Et que le vaste monde poursuive sa course folle Belfond – 431 pages –
Traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Luc Piningre
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