Jamey Bradbury : Sauvage
01/04/2019
Jamey Bradbury est née en 1979 dans le Midwest et vit en Alaska depuis quinze ans. Elle a été́ réceptionniste, actrice, secouriste et bénévole pour la Croix Rouge. Elle partage aujourd’hui son temps entre l’écriture et l’engagement auprès des services sociaux qui soutiennent les peuples natifs de l’Alaska. Sauvage, son premier roman, vient de paraître.
Tracy, dix-sept ans, vit avec son jeune frère et son père en Alaska. Sa mère est décédée depuis peu. Une maison éloignée du village et en bord de forêt. Son père tient un chenil qui connait des difficultés financières et lui comme sa fille ne pensent qu’à participer à l’Iditarod, la fameuse course de chiens de traîneau. La jeune fille ne vit que pour la chasse et ses chiens avec lesquels elle part pour de longues courses en solitaire à travers les bois enneigés. Un jour, attaquée en forêt, elle reprend connaissance couverte de sang, persuadée d’avoir blessé à mort son agresseur. Ne révélant rien à son père, ce secret commence à la hanter… Peu de temps plus tard, Jesse, un jeune gars débarquant d’on ne sait où vient proposer ses bras contre un logis.
Bigre ! Quel étonnant roman ! Si vous aimez être surpris, si vous vous régalez quand chaque page porte en elle un je ne sais quoi d’intrigant qui vous pousse à continuer, vous allez être comblé avec ce bouquin écrit d’une plume trempée dans le sang.
Juste quelques bribes de l’intrigue : le mort n’est pas mort, Jesse cache un secret intime costaud (Etrange hasard, le même que celui lu récemment dans Made in Trenton de Tadzio Koelb) mais qui n’est rien comparé à celui de Tracy ! Et c’est là que la romancière fait très fort, son héroïne devenant personnage de roman tendant vers le fantastique et ça fonctionne parfaitement. Normalement j’aurais calé devant ce type de ressort narratif, mais ici le fantastique m’a semblé plausible car Jamey Bradbury maîtrise son écriture et tout le livre en bénéficie à plein. Un style tout en délicatesse et sentimentalité (mais sans mièvrerie) où les faits sont dits à demi-mot, effleurés, voire laissés à l’interprétation du lecteur du moins dans un premier temps.
Au fur et à mesure que le lecteur avance dans le roman il ne fait que s’interroger. Tracy vit-elle réellement ce qu’elle dit, ne seraient-ce pas fantasmes d’adolescente ? Et c’est quoi ces histoires de chasse où elle boit le sang de ses prises (vampirisme ?) et s’imprègne des pensées des bestioles tuées, ai-je bien compris ce que j’ai lu ? La gosse a du caractère et ne manque pas de ressources, habituée à vivre à la dure dans la nature sauvage en solitaire, très souvent en colère comme le sont les ados.
Jamey Bradbury tisse son ouvrage avec habileté, mêlant avec talent tous les sujets abordés : la nature, l’univers des mushers, ces conducteurs de traîneau à neige tiré par un attelage de chiens, les rapports psychologiques entre les personnages, les liens qui vont rapprocher Tracy et Jesse, les belles pages où la jeune fille se souvient de sa mère et du « talent » qu’elles partagent. Et en fil rouge, c’est le cas de le dire, ce sang qui nourrit le livre et l’irrigue de mystère.
Nous avons donc là un bon roman mariant Nature Writing, Fantastique et Thriller sans que cela paraisse artificiel, il est bien écrit, le sujet est très original et comble de satisfaction, bien que flirtant avec des points qui d’habitude me rebutent, je me suis laissé capté et emporté par ce livre dont même la fin est réussie, ou du moins pas ratée. Pour un premier roman, chapeau !
« La plupart des animaux que je trouvais dans mes pièges étaient morts depuis des heures, peut-être des jours. Quand vous avez en main un animal qui se meurt plutôt qu’un animal qu’est mort depuis longtemps, c’est chaud, vous sentez sa chaleur qui se répand en vous, et ce que vous apprenez de lui a la clarté parfaite des choses que vous voyez avec vos propres yeux. Goûter vous donne toujours accès au moins à un instant. Mais quand vous buvez d’une bestiole qui lâche son dernier souffle, vous recevez toute une histoire. Tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle a ressenti se livre à vous comme si ça se produisait au moment même où vous l’apprenez. Vous absorbez une vie entière, quand vous buvez et tuez en même temps. »
Jamey Bradbury Sauvage Gallmeister – 311 pages –
Traduit de l’américain par Jacques Mailhos
2 commentaires
Quel bel article sur ce roman insolite et puissant. Merci !
C'est gentil.... Espérons qu'il donne envie de le lire à d'autres....
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