Don DeLillo : Great Jones Street
22/07/2019
Don DeLillo (Donald Richard DeLillo), né en 1936 dans le quartier du Bronx à New York, est un écrivain américain. Auteur de nouvelles, de pièces de théâtre, de scénarios, et d'articles, il est surtout célèbre pour ses romans. Great Jones Street, son second roman (1973) n’a été traduit chez nous qu’en 2011. Et autant le dire tout de suite, ce n’est pas son meilleur, même pour moi qui suis un admirateur de cet écrivain.
Don DeLillo n’est pas un auteur toujours facile à lire, alors avec ce roman, soit vous accrocherez dès les premières pages, soit vous abandonnerez illico presto et dans ce cas vous rejoindrez ceux qui y voient un grand n’importe quoi – ce que je peux comprendre mais qui moi, ne m’a pas déplu.
Tentons un résumé de l’intrigue : Bucky, le narrateur, star du rock en proie à une crise spirituelle, abandonne son groupe sans prévenir et va se planquer dans l’appartement minable de sa copine Opel, absente, situé dans Great Jones Street, à Manhattan, New York. Il veut le calme et la solitude mais il va se retrouver cerné par une meute d’indésirables de tout poil, avides pour des raisons diverses de le faire réintégrer le monde qui continue de tourner inexorablement… Il y a ceux comme le Dr Pepper ou Bohack qui veulent mettre la main sur un mystérieux paquet confié à Bucky par un tiers, contenant peut-être une nouvelle drogue aux effets inconnus qui intéresse fortement la Communauté agricole de Happy Valley scindée en deux courants rivaux ; il y a aussi Globke, son manager, qui lui voudrait récupérer un autre paquet ( !) contenant des enregistrements/démos faits par Bucky dans son chalet à la montagne.
Au fur et à mesure que le lecteur s’aventure – c’est le cas de le dire - dans le roman, il a la nette impression de lire les confessions d’un drogué paranoïaque. Bucky, c’est la synthèse littéraire de toutes les figures emblématiques du rock, vedettes du star-système : broyé par une célébrité mondiale, devenu à l’insu de son plein gré une sorte de messie pour un public avide du moindre de ses gestes, de sa moindre parole ou d’un rot quelconque. Sa crise existentielle s’apparente à une dépression teintée de paranoïa, ce qui donne à ses propos un écho interrogatif pour le lecteur : qui sont réellement ces gens qui le contactent et lui tiennent un langage particulièrement tordu, voire incompréhensible ? Est-ce une invention pure de son cerveau, ou bien une déformation de la réalité ? Est-il en plein trip chimique ?
C’est en cela que la lecture de ce roman est difficile, soit vous vous laissez porter par ces divagations qui vous scotcheront par l’imagination débordante de Don DeLillo, soit vous abandonnez. Du coup, la question que l’on est en droit de poser n’est pas « comment peut-on lire ça ? » mais plutôt, comment un écrivain arrive-t-il à « écrire ça ? » Car attention, cet équilibrisme en trois dimensions se tient ! Dans ce délire verbal se glissent des théories et des tentatives d’explications (qu’on acceptera ou pas).
Bien entendu derrière la forme, il y a le fond, l’écrivain ne se contentant pas de balancer des histoires à la mords-moi-le-nœud gratuitement. Il nous sort la grosse artillerie pour dénoncer, je cite en vrac : les rumeurs et la manipulation des rumeurs (il prédit Twitter ?), la paranoïa complotiste avec cette drogue qui serait une création du gouvernement pour priver du langage ses opposants, l’économie de marché (« S’il n’existe pas encore de marché pour un produit lambda, un nouveau marché se développe automatiquement… »), les médias, une certaine réussite (« Mégafourberie. Grande gueule. Insultes inimaginables. Pieux mensonges à la petite semaine. Dégueulis en tout genre. Trahison d’amis dont on se vante. Voilà les choses qui vous donnent une stature dans cette industrie. »), la relation entre l’art et l’argent. Et au milieu de tout cela (la Société moderne), l’Homme (Bucky) prisonnier de son rôle/habit (rock-star).
Un roman qui n’est pas le meilleur de l’auteur mais avec l’excuse recevable de n’être que son second ouvrage, complexe à lire mais qui n’est pas sans charmes pour ceux qui s’y intéresseront.
« - Votre pouvoir est en train d’augmenter, Bucky. Plus vous passez de temps dans l’isolement, plus les médias sont sollicités pour communiquer des paroles et des images décisives. Si nous exprimons à votre endroit pareille demande, ce n’est pas parce que nous sommes des sangsues médiatiques à la solde de tel ou tel média mais sincèrement en réponse à une demande exactement proportionnelle qui pèse sur nous. Les gens veulent des mots et des images. Ils veulent des icônes. Votre pouvoir grandit. Moins vous parlez et plus vous existez. »
Don DeLillo Great Jones Street Actes Sud – 302 pages –
Traduit de l’américain par Marianne Véron
4 commentaires
Comme toi, je suis une admiratrice de De Lillo, même si, et je te rejoins là aussi, son oeuvre n'est pas toujours facile d'accès.. ce titre me tente bien, mais je lirai d'abord "L'homme qui tombe", qui m'attend d'ores et déjà sur mes étagères..
Et ça tombe bien (sic !) « L’Homme qui tombe » est bien meilleur que celui-ci…… ce qui contredit mon billet d’alors mais s’appuie sur une relecture confirmant que l’écrivain n’est pas toujours facile à lire.
On a dû me le prêter... c'est le seul DeLillo que j'ai lu. Pas très représentatif peut-être mais apparemment j'avais plutôt apprécié, surtout le côté foutrac et paranoïaque.
L’écrivain n’est pas souvent simple à lire, certains romans sont moins bons que d’autres mais il faut lire Don DeLillo car il est néanmoins toujours intéressant….
Les commentaires sont fermés.