Sándor Márai : Dernier jour à Budapest
07/11/2019
Sándor Márai (de son vrai nom Sándor Grosschmied de Mára) né en 1900 à Kassa qui fait alors partie du Royaume de Hongrie dans l'Empire austro-hongrois (aujourd'hui en Slovaquie) et mort en 1989 à San Diego aux Etats-Unis, est un écrivain et journaliste hongrois. La vie de l’écrivain fut itinérante, européenne et quasi-vagabonde dans sa jeunesse pour fuir la Terreur Blanche de 1919, hongroise pendant vingt ans, américaine et italienne après le passage de la Hongrie dans la sphère soviétique et le choix par Márai de l’exil qui le mènera de New York à Salerne, en Italie, puis en Californie où il se donnera la mort à 89 ans, quelques mois avant la chute du mur de Berlin.
Dernier jour à Budapest, publié en 1940, n’est pas une biographie comme le précise son auteur mais prend pour héros, Gyula Krudy, un écrivain dandy décédé en 1933, admiré par Sándor Márai, transposé dans le roman sous le nom de Sindbad.
Comme son titre l’indique, le récit se déroule le temps d’une seule mais longue journée. Un matin, l’écrivain Sindbad part de chez lui en promettant à sa femme de rapporter une certaine somme d’argent – le ménage vivant chichement - pour payer une robe à leur petite fille. Le but premier va passer au second plan quand emporté par sa personnalité, Sindbad va se lancer dans une sorte de pèlerinage à travers Budapest, la ville tant aimée où il a vécu ses plus belles années et connu le succès…
Commençons par les défauts du livre afin de bien vite les oublier, certains passages me sont passés au-dessus de la tête car ils font référence à des écrivains hongrois dont je ne connaissais même pas le nom : ces pages m’ont carrément soûlé et se situent dans les débuts du roman. Voilà c’est dit.
Heureusement il ya tout le reste. La journée de Sindbad se déroule comme un long souvenir nimbé de mélancolie : les voitures à cheval disparaissent au profit des automobiles, les thermes ne sont plus ce qu’ils étaient avec leurs masseurs qui « connaissaient les secrets du corps et de l’âme de la ville. » Notre vieil homme sillonne Budapest dans une calèche, revenant sur ses lieux de prédilection, les cafés où se réunissaient les écrivains et les tavernes où l’on savait alors ce que manger veut dire, les plaisirs de la table ayant une part importante dans ce roman, « il célébrait un monde perdu dans lequel le Hongrois nouait encore une serviette à son cou et, fourchette et couteau à la main, se penchait sur le pot-au-feu… » Nostalgique mais pas complètement passéiste, reconnaissant qu’on « ne doit pas rater les mouvements intellectuels de son époque. »
De très belles pages encore sur la littérature ou ce qui le pousse à écrire, « parce que la voix se mettait à parler, qu’elle lui murmurait toutes sortes de choses à l’oreille », ou bien ces sublimes passages sur les saisons.
Sindbad constate que le monde a changé, sa Hongrie et sa ville ne sont plus ce qu’elles étaient, il le regrette comme on regrette de constater que ses plus belles années sont déjà écoulées. Ainsi va la vie, il faut l’accepter, c’est à cela que servent nos souvenirs. Le roman s’achève sur une ambiguïté aussi belle qu’elle laisse songeur…
« Dans le monde de Sindbad, dans l’autre Hongrie, l’ancienne, le ventre avait du prestige, arboré par un homme : il attestait que ce dernier n’était pas n’importe qui mais un homme pondéré qui agissait avec loyauté et expérience dans son travail, au sein de sa famille et à chaque caprice de la vie. Le ventre montrait que le monsieur qui en était doté fréquentait volontiers les tables de restaurant mais qu’il était aussi capable d’examiner le ragoût de porc déposé sur la table familiale avec une sévérité telle que le cœur de la cuisinière, de la maîtresse de maison et même de l’horloge suspendue au mur s’arrêtait de battre, comme si le fait d’avoir ajouté le foie et les rognons du porc à cuire dans le ragoût constituait une question capitale dont dépendait leur destin… Sindbad faisait grand cas du ventre des hommes. »
Sándor Márai Dernier jour à Budapest Le Livre de Poche – 251 pages –
Traduit du hongrois par Catherine Fay
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