Stefan Zweig : Brûlant secret
15/11/2019
Stefan Zweig, né en 1881 à Vienne, en Autriche-Hongrie, et mort par suicide le 22 février 1942 à Petrópolis au Brésil, est un écrivain, dramaturge, journaliste et biographe autrichien. Stefan Zweig fit partie de l'intelligentsia juive viennoise, avant de quitter son pays natal en 1934 en raison de la montée du nazisme. Réfugié à Londres, il y poursuit une œuvre de biographe (Joseph Fouché, Marie Antoinette, Marie Stuart) et surtout d'auteur de romans et nouvelles. Longue nouvelle, Brûlant secret date de 1913.
Un jeune baron – « de la peu prestigieuse aristocratie autrichienne des commis de l’Etat » - en vacances, séjourne dans un hôtel du Semmering, une zone montagneuse très fréquentée par les Viennois, au sud de la capitale Autrichienne. Par ennui et porté par nature sur la compagnie des femmes, sa quête d’une proie le guide vers une mère et son enfant, « elle était d’un type qu’il aimait beaucoup, l’une de ces Juives un peu plantureuses d’âge mûr ». Ne sachant comment l’aborder, il adopte un plan de drague qui a fait ses preuves, se lier avec Edgar, le gamin d’une douzaine d’années, pour ensuite harponner la mère et arriver à ses fins…
La « chasse » passera par les étapes qu’on imagine : le baron met l’enfant dans sa poche en s’intéressant à lui, par ricochet la mère ne pouvant ignorer l’audacieux, se laisse doucement et gentiment distraire par ce joli garçon. Puis, quand le badinage prend un tour plus sérieux, Edgar va devenir bien encombrant, toujours dans leurs pattes quand il ne le faut pas.
Erotisme latent durant la douce drague, le ton se durcit quand le gamin réalise que le baron se moque bien de lui, n’étant que l’objet par lequel passe son stratagème. Mais que veut cet homme à ma mère ? s’interroge le gosse. Là, le lecteur doit garder en tête que nous sommes en 1913, les mômes d’aujourd’hui ne se poseraient pas cette question ! Nous en arrivons au cœur du propos de l’écrivain, décrire les tourments d’un jeune enfant qui sait que des secrets animent les adultes – surtout quand leur partie touche à son terme – mais dont il ignore tout : « Il y a entre eux un secret qu’ils ne veulent pas m’avouer. Un secret que je dois percer à tout prix. » Gare à l’Edgar quand il a une idée dans le boudin, il va coller aux basques des deux adultes, ne leur laissant pas un instant de répit malgré leurs ruses et efforts. La fin de l’histoire ne sera révélée qu’à ceux qui liront ce texte.
Une très jolie nouvelle, vive et enlevée, qui place le lecteur en observateur entre le couple qui se tourne autour et l’enfant qui veut savoir pourquoi, avant de chercher à les séparer. L’épilogue, très moral, conclut un pacte fort entre la mère et son fils, devenu par les circonstances un jeune homme au cours de ces quelques jours.
« Il s’attarda dans le hall. Elle arriva peu après, tenant le petit garçon par la main, feuilleta en passant les magazines, montra quelques illustrations à l’enfant. Mais lorsque le baron s’approcha du guéridon, comme par hasard, feignant de chercher lui aussi une revue, en réalité pour pénétrer plus profondément dans l’éclat humide de ses yeux, peut-être même pour entrer en conversation avec elle, la femme s’éloigna et se tourna vers son fils : « Viens Edgar ! Au lit ! » dit-elle avec une petite tape sur l’épaule, et elle passa son chemin, fermée, dans le froufroutement de sa robe. Un peu déçu, le baron la suivit du regard. Il avait espéré faire sa connaissance le soir même, et cette sécheresse le refroidit. Mais au fond, cette résistance avait aussi son charme et l’incertitude du jeu attisa son désir. Car enfin, il avait finalement trouvé son partenaire et le jeu pouvait commencer. »
Stefan Zweig Brûlant secret La Pléiade Romans, Nouvelles et Récits Tome 1 – 63 pages -
Traduction par Nicole Taubes
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