Peter Kaldheim : Idiot Wind
20/02/2020
Peter Kaldheim a été éditeur dans une vie antérieure. Carrière qui tournera court quand il tombera dans la drogue, suivie d’un séjour en prison à Rikers Island. S’en suivra un long parcours cahotant de trimardeur à travers les Etats-Unis. Aujourd’hui il vit à Long Island où il organise des excursions de pêche au large de Montauk. Idiot Wind, qui vient de paraître, est son tout premier livre, un récit autobiographique nous entrainant dans les pas de l’auteur à travers les Etats-Unis durant les mois qui suivirent la tempête de neige qui s’abattit sur New York en janvier 1987.
Peter Kaldheim, surnommé Le Chapeau, car toujours coiffé d’un Fédora à la Humphrey Bogart, a arnaqué d’une somme rondelette son dealer, le très dangereux (« c’était un sociopathe ») Bobby Bats. Sans espoir de pouvoir le rembourser, il doit quitter New York en catastrophe, sans un sou en poche et avant que la tempête ne paralyse la ville. N’importe où, mais vite. L’un des derniers bus Greyhound en partance file vers le sud et la Virginie. Banco ! Commence un très long périple, un road-trip, coast to coast, en bus au départ puis en stop, qui le conduira en Floride, Louisiane (Nouvelle-Orléans), Arizona (Tucson), Nevada (Las Vegas), Oregon (Portland), la frontière canadienne et enfin le Montana, dans le parc de Yellowstone.
Peter Kaldheim a fait des études et ne manque pas d’instruction, son bouquin en est la preuve. Le récit est truffé de références culturelles diverses : cinéphiles (films et acteurs), musicales (rock), littéraires (écrivains et romans). C’est d’ailleurs Jack Kerouac, figure tutélaire, qui sert de modèle à l’auteur, les citations tirées de Sur la route, surgissent de-ci, de-là, entre les lignes de ce livre particulièrement bien troussé. L’écriture, c’est le point fort du bouquin, pas de longueurs ni ennui ; mon grand-père disait « ça glisse comme le Bon Dieu en culotte de velours » quand il mangeait un truc vraiment délicieux, on pourrait ressortir la métaphore pour ce récit qui se lit d’une traite tant le rythme est entrainant et les anecdotes sympathiques.
Au présent du récit s’ajoutent des flash-back sur le passé de l’écrivain, enfance, carrière professionnelle prometteuse, mariages foirés, l’alcool et la dope, séjour en prison. La longue échappée vers la côte Ouest - il a un job en vue à San Francisco - lui fait croiser des vagabonds dans son genre ou des âmes charitables parfois assez originales comme Sean, un illuminé, héritier fortuné, « guerrier ninja du Christ », Kalvin, un jeune orphelin pour lequel il a beaucoup de compassion, Gino, au passé chargé, avec qui il conduira une voiture de New Orleans à Tacoma, ou encore John, un clodo de Portland qui lui enseigne tous les bons plans offerts par les services sociaux de la ville. Le boulot espéré à San Francisco étant tombé à l’eau, c’est un emploi au Yellowstone Parc où il restera cinq ans qui lui offrira, avec l’écriture, la rédemption et au-delà, une nouvelle vie.
J’ai été étonné par la tonalité générale du récit due au caractère foncièrement optimiste de l’écrivain. Jamais il ne s’attarde sur les souffrances ou misères de sa situation, des ampoules aux pieds, certes, la faim, oui, etc. mais il n’en fait guère étalage. Enfin, et ce n’est pas pour être négativement critique mais pour que vous le sachiez avant de vous lancer dans cette lecture, le récit ne propose pas de situations très originales – rien que de très banal pour ces histoires de hobos que tout amateur de littérature américaine connait assez bien -, ni même dramatiques ; il faut aussi préciser que Le Chapeau a une chance assez extraordinaire, dès qu’il pourrait être dans une mouise terrible aussitôt la Providence ( ?) lui vient en aide… Tant mieux pour lui car l’homme est du genre sympathique (et ne perdons pas de vue que c’est lui qui parle de lui….) mais j’attendais des épisodes plus durs. Je dis ça, je ne dis rien, mais je le dis quand même. Pour conclure, un récit trop « gentil » pour moi mais extrêmement agréable à lire néanmoins, ce qui est essentiel.
« Quiconque est contraint de se tourner ver les services sociaux pour quémander de l’aide porte en lui une bonne dose de colère. Beaucoup en veulent au monde entier. D’autres, comme moi, sont tout simplement furieux contre eux-mêmes. Quoi qu’il en soit, personne, moi y compris, n’est content d’avoir besoin qu’on lui « rende service », et la moindre tracasserie administrative suffit pour que ce mécontentement dégénère en trouble à l’ordre public. Quand cela se produit, le vigile vieillissant du centre n’a plus qu’à appeler le 911 et se réfugier derrière son bureau jusqu’à ce que les poulets arrivent. »
Peter Kaldheim Idiot Wind Delcourt – 409 pages – (Parution prévue le 26 février 2020)
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Séverine Weiss
« Je suis un fan de Bob Dylan depuis les sixties, et « Idiot Wind » qui est sur l’album de 1965 [faux : 1975], Blood On The Tracks, est une de mes chansons préférées de Dylan. Il y a ce couplet : « Je me suis réveillé sur la route, rêvassant à ce que sont les choses parfois. » Un couplet prémonitoire quand à l’état d’esprit dans lequel j’étais quand je me suis retrouvé sur la route en 1987. »
Les commentaires sont fermés.