Alfred Bester : L’Homme démoli
13/04/2020
Alfred Bester (1913-1987) est un auteur américain de science-fiction. Il publie sa première nouvelle en 1939 grâce à un concours d'écriture amateur, le concours avait été organisé afin de le faire connaître, plusieurs personnes d’un magazine ayant déjà lu ses textes auparavant. En 1942, il travaille chez DC Comics comme scénariste pour plusieurs titres dont Superman ou Green Lantern. Auteur de peu de romans, il a surtout écrit des nouvelles. L'Homme démoli a été publié en feuilleton dans Galaxy Science Fiction en 1952 avant d’être publié sous forme de roman en 1953, ce qui lui a valu le premier prix Hugo du meilleur roman cette année-là.
New York en 2301. Ben Reich, un puissant homme d'affaires à la tête d’une société multinationale, est hanté par des cauchemars récurrents dans lesquels il voit un « Homme Sans Visage » qui le terrorise. En difficultés économiques dues à son concurrent Cray D’Cortney, il ne voit que son assassinat pour s’en tirer. Mais dans un monde qui n’a plus connu d'assassinats depuis 79 ans grâce à l'usage de la télépathie, Ben Reich doit imaginer un crime absolument parfait. Il croit y être parvenu mais c’est sans compter sur le préfet Lincoln Powell qui va utiliser les grands moyens et des ruses inouïes pour le démasquer…
Comme vous le voyez il s’agit d’un véritable polar basé pour Powell sur les trois incontournables : Qui ? Pourquoi ? Comment ? mais le tout est drapé des vêtements de la SF. Comme je ne lis plus ce type de romans depuis une éternité, mes petites cellules grises ont mis du temps à réapprendre les codes de lecture liés à cette littérature et j’avoue que ça leur a fait un bien fou d’être secouées ainsi ! Si le fond est classique, on l’a vu, la forme délirante et parfois incompréhensible (pour moi) m’a sacrément sorti de ma zone de confort.
L’angle S.F. traité par l’auteur est la télépathie. Dans ce futur, il existe une Guilde des télépathes doués de pouvoirs leur ouvrant la voie des perceptions extrasensorielles. En fonction de leur niveau, ils sont classés à des postes plus ou moins élevés (Powell est un cador, évidemment) et ces gens (mateurs, extrapers, pour reprendre la terminologie de l’écrivain) pénètrent vos pensées et les lisent, les plus costauds ayant les moyens de créer des boucliers mentaux pour interdire ces effractions.
Le roman va décrire ces luttes mentales, ces ruses de Sioux pour contourner les esprits rebelles, en s’appuyant sur un suspense tenu jusqu’à la fin. Dès le début du livre, Powell sait que Reich est coupable et Reich sait que Powell le sait ! Tout va résider dans la manière dont le policier va pouvoir le prouver. Pour le coupable, la sanction n’est pas la mort, mais la « démolition », une reconstruction mentale du condamné pour le remettre au service de la société.
Je suis passé par différents sentiments durant cette lecture : difficulté à comprendre ce qui se passait au début, sourire devant quelques naïvetés créant contraste comme l’escroquerie carrément nunuche dite de « la rectification », très années 50, alors que nous sommes en 2301, puis le roman prend du volume, la psychologie se déploie et l’épilogue digne des tragédies grecques, fait appel à la psychanalyse.
En conclusion, un très bon roman panachant l’antique et le futurisme, assez complexe pour vous tenir aux aguets en permanence, suspense et naïvetés mêlées. Je laisse à chacun le choix de penser ce qu’il veut de cet éventuel futur, l’écrivain décidant de clore son roman sur une note d’espérance positive quant à l’avenir de l’homme.
« Voilà où nous vivons… tous. Dans le pavillon psychiatrique. Sans issue… sans refuge. Félicitez-vous de ne pas être mateur, monsieur. Félicitez-vous de ne jamais voir que l’extérieur de l’homme. Félicitez-vous de ne jamais voir les passions, les haines, les jalousies, la malveillance, les maladies… Félicitez-vous de rarement voir la terrifiante vérité chez les gens. Le monde sera un endroit merveilleux quand tout le monde sera mateur et que tout le monde se sera adapté… Mais d’ici-là, félicitez-vous d’être aveugle. »
Alfred Bester L’Homme démoli Folio SF – 309 pages –
Traduit de l’américain par Patrick Marcel
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