Alex Taylor : Le Sang ne suffit pas
08/06/2020
Alex Taylor vit à Rosine, Kentucky. Après divers métiers improbables, fabriqué du tabac et des briquets, démantelé des voitures d’occasion, tondu des pelouses de banlieue et aussi été colporteur de sorgho pour différentes chaînes alimentaires, il s’est lancé dans l’écriture. Diplômé de l’université de Mississippi il enseigne aujourd’hui à l’université de Western Kentucky.
J’avais adoré le premier roman d’Alex Taylor, Le Verger de marbre (2016), aussi attendais-je avec une vive impatience son second livre qui vient de paraître.
Hiver 1748 dans les montagnes enneigées entre Virginie et Kentucky. Reathel, seul avec son chien, erre affamé dans ces lieux abandonnés quand il tombe sur une cabane délabrée où il espère trouver de l’aide. Refoulé par l’occupant il le tue et découvre à l’intérieur, une jeune métisse indienne, Della, enceinte. Son enfant à venir vaut de l’or, il a été promis à Black Tooth, un chef Indien, en échange de vivres pour les occupants assiégés de fort Bannock. En frappant à cette porte Reathel espérait trouver un refuge, en fait il est au seuil de l’Enfer : une ourse en quête de nourriture attaque la cabane et deux frères, Bertram et Elijah, payés par la colonie, sont à la poursuite de la mère et son enfant en fuite…
Le sang ne suffit pas annonce le titre, pourtant le roman n’en manque pas ! Blessures bénignes, égorgement ou pire encore, au propre (sic !) comme au figuré, les liens du sang familiaux par exemple, ça coule et ça dégouline dans ce bouquin sombre où le rouge et le noir font chambre commune.
Entrer dans les détails de l’histoire serait une erreur de ma part, d’abord parce que les rebondissements sont trop nombreux et qu’ici résumés, ils vous feraient fuir à tort, pensant n’y voir qu’un roman violent et poisseux. Tous les ingrédients que vous commencez à imaginer y sont : la rudesse du climat, la faim qui taraude hommes et bêtes, les attaques de l’ourse et de loups, les Indiens qui rôdent et frapperont, sans oublier les personnages qui viendront se greffer au récit, Simon Cheese qui « se considérait lui-même comme un patriote fluctuant » espérant tirer bénéfice d’un conflit entre colons et Indiens, Eloysie, sa pauvre femme victime d’un calvaire ahurissant à vous en faire jaillir les yeux de leur orbite et que je vous laisse découvrir, Integer Crabtree le médecin du fort, Otha l’aumônier qui recèle un secret dévoilé in fine etc. Le roman se dévore car chaque page livre un développement nouveau, un coup du sort imprévu.
Aucun acteur de ce roman n’est pur ou innocent, tous portent en eux un drame ou un passé lourd, tous sont prêts à tuer et le font, que le motif soit compréhensible (sauver sa propre peau) ou indéfendable. A leur décharge, l’époque, des lieux et des conditions de vie plus que rudes…
Le thème du livre aborde un sujet moral éternel, peut-on accepter de sacrifier sciemment un être humain (le bébé de Della) si ce sacrifice permet d’éviter la mort de nombreux autres (les colons retranchés dans le fort) ?
Et maintenant, après deux livres, on peut décrire le style le l’écrivain : Un rythme pas particulièrement rapide mais qui sait happer l’intérêt du lecteur, des scènes ou des situations d’anthologie, une violence certaine et des excès/exagérations évidents qui devraient rebuter mais tout cela est effacé par la très belle écriture d’Alex Taylor, faite d’un lyrisme onctueux, de formules qui claquent (« … l’orifice pestilentiel de sa bouche, dont émanait une telle puanteur qu’on eût cru que l’homme venait de prodiguer une heure de fellation à un étron ») et d’un vocabulaire extrêmement riche et pointu.
« - Ce n’est que du sang. Vous avez dû en voir en quantité, dans ce pays ? Reathel regarda le bandage du Français s’assombrir. – J’en ai vu un peu, admit-il. Le Français lissa son pantalon comme s’il était en train de se pomponner. – N’est-ce pas chose étrange ? Il y a du sang en quantité, et pourtant les hommes le convoitent comme de l’or. Que doit-on en penser ? Qu’un homme ne doit pas pleurer une vie qui est perdue. Pas une femme. Pas un fils. Il y a, après tout, beaucoup de femmes, beaucoup de fils. Le sang coule en abondance, mais ce n’est pas encore assez. Le sang ne suffit pas. »
Alex Taylor Le Sang ne suffit pas Gallmeister – 316 pages –
Traduit de l’américain par Anatole Pons-Reumaux
4 commentaires
Tu as beau me mettre en garde et dire que ce roman est bien autre chose que cet aspect sanglant il n’empêche , ce que tu en dis me glace !
C’est un bon roman, mais je ne pense pas qu’il soit pour toi effectivement, une fois de plus… tant pis ?
Comme toi, j'avais beaucoup aimé "le verger de marbre", celui-ci est prévu dans mes prochaines lectures ! et tu me donnes très envie, merci !
Je pense que tu ne seras pas déçu ! Bonne future lecture !
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