Philip Roth : Quand elle était gentille
10/05/2021
Philip Milton Roth (1933-2018) écrivain américain, auteur d'un recueil de nouvelles et de 26 romans est l’un des plus grands écrivains de son siècle. Quand elle était gentille, roman de 1967, fait partie de ceux qui ne s’inscrivent dans aucun des cycles (Nathan Zuckerman, David Kepesh et Némésis) qui ont fait la renommée de l’écrivain.
Tragique destin que celui de Lucy Nelson, jeune fille d’une moyenne ville de province des Etats-Unis, entre l’après-guerre et le début des années 50. Ainsi pourrait être résumé ce roman, critique acerbe du puritanisme de la société américaine.
Dès son enfance Lucy est traumatisée par l’alcoolisme de son père au point de lui vouer une haine farouche qui l’amènera à étendre cette répulsion à tous les hommes en général. Quand une amie lui fera découvrir Sainte-Thérése, la convertissant au catholicisme, « Lucy se voua à une vie de soumission, d’humilité et de souffrance. » Pour échapper à sa famille et un peu contre son gré, elle finira par épouser Roy, revenu de la guerre et avoir un enfant, Edward, alors qu’elle a à peine dix-huit ans. Lui a toujours des projets qui n’aboutissent jamais, toujours à la remorque de l’avis de sa propre famille, elle, rêvant de le voir plus « viril » c'est-à-dire indépendant et ne s’occupant que de sa femme et de son fils…
Dans la tête de Lucy, c’est un peu le bazar : elle se croit mieux que les autres, « Je suis leur supérieure sur tous les plans ! Les gens peuvent me traiter de tous les noms : ça m’est égal ! » et veut régenter sa maisonnée en remodelant le caractère et la personnalité de Roy. Bien entendu, lui qui n’est pas non plus exempt de tout reproche – mais qui l’est ? – rue dans les brancards et, mauvaise idée, cherche le réconfort dans sa famille, en particulier son oncle, ce qui exaspère au plus haut point Lucy ! Leur mariage connait des hauts pas très hauts et des bas vraiment très bas, l’incompréhension est à son maximum. Lucy en devient « folle » ou du moins parano, son imagination galopante faisant le reste. Quand Roy, épuisé par le caractère difficile de sa femme, part avec leur fils se réfugier chez ses parents, Lucy au paroxysme de ses crises de délire, tente une ultime manœuvre pour récupérer son gamin qui lui sera fatale.
Même si ce n’est pas le Philip Roth que je préfère – ici il n’y a jamais d’humour - et ce bouquin m’a semblé long parfois, voilà un bon roman. D’autant qu’il est assez paradoxal : les féministes n’ont jamais vraiment porté Roth dans leur cœur pourtant ce livre nous montre le combat d’une jeune fille, indépendante, gouvernant sa barque selon ses propres convictions (bonnes ou mauvaises, certes, ça se discute), allant au bout de ce qu’elle croit être juste. Plus étonnant encore, le livre a été écrit il y a soixante ans, or il résonne (lugubrement ?) avec les propos incendiaires et haineux de certaines ultra-féministes d’aujourd’hui envers les hommes : « tout ce qu’elle aurait pour la soutenir, ce serait la puissance de sa haine, de son mépris, l’horreur que lui inspiraient ces monstres qui détruisent avec une telle cruauté la vie des femmes innocentes… »
« Il ouvrit la portière arrière de son côté. « Rentrons ! J’en ai par-dessus la tête de tout ça, vraiment. Il se trouve que je suis un homme et que j’ai certains besoins physiques aussi bien qu’affectifs, figure-toi, et je n’ai pas à supporter tout ça d’une gosse du lycée. Tout ce que nous faisons, c’est discuter chaque mouvement que je fais, geste par geste. Tu trouves ça romantique ? C’est ça, ton idée des relations entre homme et femme ? Eh bien, ça n’est pas la mienne. L’acte sexuel est une des expériences les plus nobles qu’on puisse avoir, homme ou femme, sur le plan physique ou mental. Mais tu n’es qu’une de ces petites Américaines typiques qui trouvent ça obscène. Alors, allons-nous-en, petite Américaine. Je suis vraiment un garçon facile à vivre, qui a bon caractère, Lucy, alors il en faut vraiment pour me mettre dans un état pareil… Mais j’y suis, crois-moi, allons-nous-en ! »
Philip Roth Quand elle était gentille Folio – 406 pages –
Traduit de l’américain par Jean Rosenthal
2 commentaires
C'est un des livres dont je me suis débarrassée lors de mon récent déménagement, parce qu'il traînait depuis trop longtemps sur mes étagères et que j'avais en effet cru comprendre que ce n'était pas l'un des meilleurs titres de Roth.. il a depuis été remplacé par d'autres (notamment Némésis). Sans regret, donc.
D’accord pour dire que ce n’est pas l’un de ses meilleurs romans mais comme sa production s’étale entre bon et excellent (pour moi) ce livre reste d’un très bon niveau. Ma seule critique et je l’ai souligné, c’est qu’ici il n’y a pas d’humour… Il peut donc être lu.
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