Philip Kerr : Metropolis
26/07/2021
Philip Kerr (1956-2018), est un auteur britannique de romans policiers et de littérature d'enfance et de jeunesse. Il a étudié à l'Université de Birmingham, puis travaillé un temps comme rédacteur publicitaire pour l'agence Saatchi and Saatchi avant de devenir journaliste indépendant puis écrivain de romans policiers en 1989. Le succès de La Trilogie berlinoise, ayant pour héros Bernhard Gunther, un enquêteur privé dont les aventures ont pour cadre l'Allemagne nazie, le pousse à se consacrer à l'écriture à temps plein. Quatorzième et dernier roman de la série Bernie Gunther, Metropolis est paru en 2019 peu de temps après le décès de l’écrivain.
Berlin en 1928 à l’époque de la république de Weimar (1918-1933). Bernie Gunther qui travaille à la préfecture de police aux Mœurs est promu à la Criminelle. Bernhard Weiss, le grand patron, le charge d'enquêter sur le meurtre de plusieurs prostituées, meurtres d’autant plus sordides que les victimes ont été scalpées et les trophées emportés par l’assassin. L’enquête piétine, le tueur se moque de la police en écrivant aux journaux. Jusqu’à ce qu’une nouvelle victime se révèle fille d’un caïd de la pègre qui jure de se venger. Pour Bernie Gunther les choses se compliquent quand le tueur de prostituées semble lever le pied, remplacé par un autre assassin qui lui s’en prend aux mendiants, mutilés de guerre… Deux tueurs en série pour Bernie, un sacré taf pour le jeune promu !
On le sait, un bon polar doit dérouler son intrigue dans un contexte qui lui donnera de l’étoffe, l’enquête ou l’intrigue seule ne suffit pas, ce contexte peut être social, historique, tout ce que voudra l’écrivain, mais c’est un décor nécessaire. Philip Kerr a choisi pour son cycle Bernie Gunther, l’Histoire, la plus dramatique certainement, celle qui voit arriver le nazisme en Allemagne.
Pour l’intrigue proprement dite, le petit résumé vous en donne la teneur et l’épilogue pose la question de la Justice opposée à la justice personnelle avec à ses côtés la quête de la Vérité absolue. Questions philosophiques ou morales intemporelles.
Mais ce qui fait la force des romans de l’écrivain, et ce que je préfère à ces lectures, c’est que nous sommes plongés dans la vie quotidienne des Berlinois. L’Allemagne est imprégnée des séquelles de l’armistice de la Grande Guerre, les soldats mutilés hantent les rues de la capitale, réduits à la mendicité ; les petits boulots au noir, la misère qui sévit partout, la prostitution qui touche peu ou prou toutes les femmes ; les clubs où la débauche est de rigueur, les crimes etc. A cette époque, la seule réponse qui semble s’imposer face à ces fléaux, c’est la force, les purges, théories véhiculées par le nazisme qui monte et se répand dans toutes les couches sociales de la population à des degrés divers : redonner sa vigueur à l’Allemagne et combattre l’ennemi intérieur, les Juifs.
Philip Kerr excelle à nous faire vivre cette époque sombre (brune) en ce lieu et son Bernie Gunther doit la jouer fine pour évoluer au milieu de l’abjection en marche, des manœuvres politiques, des crimes sordides et préserver autant que faire se peut son intégrité morale. Pour ajouter à la véracité, l’écrivain n’hésite pas à inclure dans son scénario des personnages ayant réellement existés.
Encore un très bon roman de l’auteur comme d’habitude. Lisez les polars de Kerr, celui-ci ou un autre qu’importe, c’est distrayant et instructif. Peut-on faire mieux ?
« Vous voyez ce banc de pierre ? C’est le banc des joueurs. Mon père s’y est assis durant vingt ans pour jouer au skat et dilapider l’argent qu’il avait gagné grâce aux petits boulots merdiques qu’il dénichait de temps en temps, pendant que ma mère se tuait à la tâche en faisant des lessives et en fabriquant des vêtements pour enfants. J’ai juré de ne jamais finir comme ces deux pauvres bougres. Le nombre de fois, depuis, où j’ai regretté de ne pas avoir pu revenir à temps pour leur filer simplement quelques centaines de marks. Qui auraient changé leur vie. Et la mienne… Parfois, j’ai l’impression que tout ça est arrivé à quelqu’un d’autre. Comme un schizophrène, vous comprenez ? Si vous voulez savoir pourquoi un homme devient un criminel, venez donc passer un petit moment ici, vous apprendrez deux ou trois choses. »
Philip Kerr Metropolis Seuil – 392 pages –
Traduit de l’anglais par Jean Esch
8 commentaires
Moi aussi j'ai beaucoup aimé ces débuts de Bernie Gunther. Mention spéciale pour l'évocation des peintres de l'époque.
Il me semble que ce roman est aussi beaucoup plus facile à lire que d'autres de la série ? Est-ce une impression ?
Je ne peux pas répondre. J'ai lu le reste de la série à sa sortie donc cela fait trop longtemps pour que je puisse faire une comparaison exacte.
Cela fait très longtemps que j'ai noté sa trilogie berlinoise... tu conseille de commencer par quoi ?
Je ne suis pas un spécialiste de Kerr, je n’ai pas lu tous ses romans, loin de là, faute de temps plus que d’envie… La Trilogie berlinoise (L'Eté de cristal - La Pâle figure - Un Requiem allemand) regroupe les trois premiers romans de ce qui est devenu le cycle Bernie Gunther ; dans ces conditions la logique voudrait de commencer par le premier tome …. Pour monter en puissance ensuite.
Si quelqu’un peut mieux conseiller Ingannmic qu’il n’hésite pas à intervenir, nous en profiterons tous.
Je pense aussi que l'ordre chronologique est de loin le meilleur. On voit l'évolution de la carrière (compliquée, comme on l'imagine) de Bernie. Mais celui-ci gagne a être lu en premier car en fait, c'est le numéro zéro.
Bien vu Sibylline !
« Metropolis » pouvant être qualifié de préquel(le), comme ils disent au cinéma…..
Merci à vous deux ! Je note donc d'abord ce titre.
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