Charles Bukowski : Souvenirs d’un pas grand-chose
15/09/2023
Charles Bukowski, né Heinrich Karl Bukowski (1920-1994) est un écrivain américain d’origine allemande. Après avoir fait mille métiers, certains plus sordides que postier ou employé de bureau, connu la misère et la prison, il se lance dans l’écriture de poèmes puis de romans et nouvelles. Souvenirs d'un pas grand-chose (1982) est certainement le roman le plus autobiographique de Charles Bukowski, c’est aussi l’un de ses plus beaux écrits.
Le roman s’étend des premières années de son héros, Henry Chinaski, au début des années 1920, jusqu’au bombardement de Pearl Harbour en 1941. Pour Henry la vie commence durement immédiatement, un père difficile à vivre car déçu par son propre échec social (« Mon père n’aimait pas les gens. Il ne m’aimait pas, moi non plus ») toujours en colère avec tout le monde et réprimandant ou frappant son fils dans une Amérique frappée par la Grande Dépression, cette longue phase de crise économique et de récession qui frappa l'économie mondiale à partir du krach boursier américain de 1929 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale.
Pas aidé non plus par son propre corps, il est sujet à un redoutable acné (« On était loin de l’acné juvénile. Non, moi, ce que j’avais, c’étaient des furoncles énormes, enflammés, qui n’arrêtaient pas de me faire mal et qui étaient bourrés de pus ») qui le pousse à s’isoler des autres et voir ces autres comme des adversaires ou des ennemis, quant aux filles... En conséquence, son parcours scolaire et secondaire est plus que chaotique, il commence à boire très jeune poussé par un copain (« Je ne m’étais jamais senti aussi bien. C’était encore mieux que de se masturber ») et se lance dans des bagarres pour un rien, tout en rêvant des femmes… Sa vie de patachon s’accélère quand il est viré du toit familial et loge dans des chambres sordides dans des hôtels minables où il fout le bordel.
Le bouquin peut être lu comme un très bon roman mais sachant qu’il est très largement autobiographique il prend une dimension supérieure et devient particulièrement touchant, poignant même, car ce Chinaski est vraiment chiant à suivre pour le lecteur devenu un homme bien mûr. Pourtant, ce même lecteur, quand il se souvient de sa propre jeunesse, trouve des échos dans ce que ressent Henry : un manque d’estime pour lui-même (« Moi, je n’étais qu’un étron à cinquante cents qui surnageait au milieu du grand océan de la vie ») ; une interrogation abyssale sur ce qu’il va faire de sa vie, quel avenir ? quand on ne veut surtout pas entrer dans le jeu « normal » proposé par la société à savoir, se trouver un job honorable, une femme et des enfants, le crédit pour une maison etc. (« La vie du citoyen moyen et sain d’esprit, c’était morne, pire que la mort même »). Le dilemme que beaucoup ont cherché à résoudre, vivre heureux et libre, sans pour autant suivre le chemin bordé et imposé par la société.
La seule chose qui trouve grâce à ses yeux, c’est son désir d’être écrivain depuis qu’il a découvert Upton Sinclair, D.H. Lawrence, Hemingway etc. à la bibliothèque, autre sujet d’engueulades avec son père.
Quand le roman s’achève, les Japonais ont bombardé Pearl Harbour, le meilleur ami de Chinaski s’engage dans l’armée et part pour la guerre, Henry a une vingtaine d’années et il est toujours puceau.
Un excellent roman.
« La route que j’avais devant moi, j’aurais presque pu la voir. J’étais pauvre et j’allais le rester. L’argent, je n’en avais pas particulièrement envie. Je ne savais pas ce que je voulais. Si, je le savais. Je voulais trouver un endroit où me cacher, un endroit où il n’était pas obligatoire de faire quoi que ce soit. L’idée d’être quelque chose m’atterrait. Pire, elle me donnait envie de vomir. (…) Se marier, avoir des enfants, se faire coincer dans une structure familiale, aller au boulot tous les jours et en revenir, non. (…) Les gens ne naissaient-ils donc que pour supporter ce genre de choses et puis mourir ? »
Charles Bukowski Souvenirs d’un pas grand-chose 10-18 - 383 pages -
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Robert Pépin
2 commentaires
Je pense que celui-là m'aurait plu davantage que Pulp...
Oui, c'est ce que j'ai bien compris .... !
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