Sue Kaufman : Journal d’une ménagère folle
23/10/2023
Sue Kaufman (1926-1977) est une romancière américaine. Diplômée de Vassar College en 1947, elle débute comme assistante chez un éditeur. En 1953, elle épouse le docteur Jeremiah Abraham Barondess, avec qui elle a un fils, James, en 1957. Sous son nom de jeune fille, elle publie de nombreuses nouvelles dans des revues américaines telles que Atlantic Monthly, Paris Review, Saturday Evening Post. C'est avec son troisième roman, Journal d’une ménagère folle, qu'elle connaît un succès véritable en 1967.
Etats-Unis dans les années 1960. Tina (Bettina Munvies Balser), femme au foyer de trente-six ans et mère de deux filles est l’épouse de Jonathan, avocat plein d’ambitions multiples leur permettant une ascension sociale comme ce bel appartement non loin de Central Park à New York. Outre son métier, Jonathan s’éparpille en boursicotant et en investissant dans le monde du théâtre où il peut côtoyer des people comme on dit aujourd’hui. Les soirées mondaines se succèdent et Jonathan tient à faire bonne figure, au grand désespoir de Tina qui ne voit pas tout ça d’un bon œil. Elle traine les pieds derrière un Jonathan ébloui par les paillettes, aveugle aux moqueries de ce petit monde qu’il cherche désespérément à intégrer.
Un beau jour, Tina décide de tenir un journal pour tenter d'y voir plus clair dans sa vie. Nous la suivrons dans les moindres détails de sa vie, l’épouse chargée de la logistique ménagère, des enfants et surtout des exigences maritales quant à l’organisation de la maisonnée (« En tant qu’époux et chef de famille, j’ai le droit d’attendre, de demander, et que toi, en tant qu’épouse, tu as le devoir de faire » Une autre époque !). Et lorsque tout ne tourne pas rond, comme le voudrait le mari, il pense que Tina a des problèmes psychologiques et qu’elle doit soigner sa « folie ».
Sue Kaufman a la plume alerte, le rythme est rapide et Tina nous est très sympathique immédiatement. On pourrait penser que le récit étant la voix de Tina, la vérité en soit équivoque mais le ton général, mêlant cynisme et humour, tendresse et émotion, nous laisse envisager une autre interprétation de la situation ce que l’épilogue confirmera, insinué par le titre du roman, provocant et ironique.
« Sue Kaufman dénonce ici les violences symboliques que subissent les femmes de la classe moyenne. Elle explore, avec une repartie rugueuse, la "folie" d'un être qui perd pied dans une société américaine paternaliste. »
Un excellent roman, je vous en recommande la lecture.
« J’avais compris. J’avais compris qu’à moins de divorcer, ou de forcer Jonathan à divorcer, je devais sauter quand il disait : Saute. Etant donné que le simple mot divorce déchaîne une tempête de questionnements (…) et puisque la seule idée, même à présent, d’avoir la pleine responsabilité des filles (de les faire vivre, je veux dire) et de gérer seule tous les problèmes quotidiens me donne le frisson, je savais que je sauterais. Et sauterais et ressauterais, encore. Jusqu’à ce que, par quelque miracle, Jonathan arrête de m’ordonner de sauter. »
Sue Kaufman Journal d’une ménagère folle L’Imaginaire - 356 pages -
Traduction de l’anglais (Etats-Unis) de Pauline Verdun, révisée par Hélène Cohen
8 commentaires
La citation que tu as choisi est terrible et semble résumer assez bien le propos.
La citation est empruntée à la quatrième de couverture et colle parfaitement aux propos du roman qui est vraiment excellent !
Je sens que ça me ferait bouillir, mais hélas c'était (c'est encore parfois?) la réalité de l'époque.
La bonne idée de ce roman, c’est de dénoncer sur un ton léger avec beaucoup d’humour le plus souvent…
Je n'avais jamais entendu parler de cette auteure. Très tentant, en tous cas.
Je ne la connaissais pas moi non plus mais il y a beaucoup de pépites dans la collection « L’Imaginaire » dont je suis attentivement les nouvelles parutions.
ce que je trouve terrible c'est que pour fuir cette réalité américaine là, les féministes sont allées vers d'autres excès et ce qui est pire encore pour moi, c'est qu'en France on a imité leur féminisme alors que la réalité française a été depuis toujours très différente.
j'ai très envie de lire ce livre moi aussi.
Ce que tu dis ne concerne pas que le féminisme, les Etats-Unis et la France. Il s’agit d’un problème mondial : le monde devient de plus en plus compliqué à gérer car ses problèmes sont multifactoriels, là-dessus se greffent des peurs de plus en plus prégnantes (réchauffement climatique par exemple). Face à cette situation, soit on l’aborde intelligemment, mais c’est difficile à expliquer à tout le monde et il faut le dire en beaucoup de phrases, soit on se réfugie derrière le « Yakafocon » qui annonce des solutions avec un slogan ! Les extrémistes de droite et de gauche, les populistes, y vont par brouettées pleines sur les Réseaux Sociaux et évidemment ça rassure les cerveaux atrophiés… Le monde est mal barré.
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