François Mauriac : Les Anges noirs
01/04/2024
François Mauriac (1885-1970), lauréat du Grand Prix du roman de l'Académie française (1926), membre de l'Académie française (1933) et lauréat du prix Nobel de littérature (1952) a été décoré de la Grand-croix de la Légion d'honneur en 1958. Les Anges noirs est un roman de 1936.
Jeunes gens, Gabriel et les cousines Adila et Mathilde se fréquentaient lorsque contre toute attente, le beau jeune homme épousa Adila, triste laideron, coup dur à encaisser pour l’autre. Très vite décédée, sa femme lui laisse leur fils, Andrès, que Mathilde élèvera car Gabriel est volage autant qu’ambitieux, usant de ses charmes pour arriver à ses fins, et c’est à Paris qu’il tente de s’y employer grâce à Aline, prostituée ne manquant pas de ressources. Une vingtaine d’années plus tard, Gabriel aux abois, endetté et à la merci d’un chantage exercé par Aline, revient dans les Landes, au château de Liogeats, où vivent Mathilde, son époux malade et leur fille Catherine, ainsi qu’Andrès. Gabriel a un plan, faire hériter au mieux son fils du domaine et des terres appartenant au couple pour en tirer ensuite quelques profits…
L’intrigue est diablement complexe car si dans les grandes lignes il y est question d’héritage, s’y ajoute un acteur supplémentaire, l’abbé Forcas, un jeune prêtre moqué de tous au village, « il avait échoué : ni auprès des jeunes gens, ni auprès des vieux il n’avait trouvé le moindre accueil ». L’abbé a une sœur, Tota, femme mal mariée, maitresse secrète d’Andrès, mais que tout le village prend pour la concubine du pauvre prêtre !
Le roman est terriblement captivant car la lutte psychologique est âpre entre les uns et les autres. Tous se tiennent les uns aux autres, comme une chaine dont chaque maillon est un personnage dépendant du précédent ; magouilles, manigances, chantage, liens du cœur réanimés, trahison, un festival de rouerie mais aussi de naïveté coupable/bêtise… Au château tout le monde sait que Gabriel est dangereux, son passé en témoigne, certains craignent même pour leur vie, d’ailleurs un crime sera commis ! La lâcheté et l’appât du gain imposeront le silence à tous.
A tous, sauf à Gabriel qui ressentira le besoin irrépressible de confier ses péchés à l’abbé Forcas, les deux anges noirs ; noir de ses crimes pour l’un, noir de la soutane pour l’autre. Deux hommes que tout oppose a priori mais qui se comprendront in fine.
Je l’ai dit, l’intrigue est complexe, les acteurs nombreux et liés les uns aux autres par des liens de sang, d’amour, de haine, de profit, cette complexité psychologique m’a aussi fortement agacé parfois, exemples : Mathilde a jadis aimé Gabriel, aujourd’hui ce n’est plus le cas mais néanmoins pour lui elle va trahir pensant aider Andrès, de même pour Gabriel qui d’une certaine manière, manigance pour assurer l’avenir de son fils… La fin justifie les moyens dit le proverbe mais que répond la morale ? Un roman qui se lit comme un thriller, tant il est prenant.
« Il s’était mis à genoux, les mains jointes sur le cahier ouvert. Ses mains faites pour consacrer et pour absoudre touchaient cette page où, entre chaque ligne, courait le trait léger qu’y avait gravé l’ongle de Gradère. Le desservant priait sur cette écriture criminelle. Dans un effort d’obéissance, il rappelait à son esprit l’enseignement du séminaire. Personne n’a de soi-même que le mensonge et le péché, c’est un don de Dieu que d’aimer Dieu et son amour nous récompense de ce que son amour nous a donné. Mais si c’est Lui qui commence pour le bien, c’est nous qui commençons pour le mal. Chaque fois que nous faisons le bien, Dieu opère en nous et avec nous ; chaque mauvaise action, en revanche, n’appartient qu’à nous. Pour le mal, nous sommes en quelque sorte des dieux… »
François Mauriac Les Anges noirs Grasset Les Cahiers Rouges - 213 pages –
10 commentaires
Je connais Mauriac, ça risque de plus secouer que ton polar d'avant, alors? ^_^
Exact !
Et ça m’amène à une réflexion, destinée aux jeunes lecteurs, bien souvent les romans les plus puissants, les plus forts émotionnellement, sont plus à rechercher dans les (très) vieux romans que dans ce qui paraît aujourd’hui ! Les artifices modernes (atrocités physiques, cavalcades et fusillades etc.) ne sont rien, comparés aux violences/noirceurs psychologiques, plus souvent présentes dans les anciens bouquins, comme ceux de Mauriac.
J'adore Mauriac ! On avait même organisé avec Ingannmic un challenge autour de cet auteur lors duquel nous avions lu ce titre également. Et tu as bien raison, Mauriac,c'est du noir de chez noir !
https://aleslire.wordpress.com/2015/11/30/les-anges-noirs-mauriac/#more-625
Effectivement ses romans sont toujours plus que sombres. Un excellent écrivain pour moi aussi dont je poursuis lentement la lecture de son œuvre…
j'ai relu Mauriac récemment mais je l'ai trouvé terriblement vieilli et incroyablement malsain. Avec Thérèse Desqueyroux
Les romans de Mauriac sont toujours très noirs, malsain n’est pas le mot que j’aurais employé, mais il est certain qu’à explorer la psychologie des gens on trouve toujours quelque chose qui fait mal à savoir, or c’est exactement ce que fait l’écrivain, nous montrer la face sombre de l’être humain. Un peu comme un médecin qui éclaterait un bouton pour en faire jaillir le pus !
Quant au terme « vieilli », je ne sais pas ce que tu entends par là. Pour moi, ça a un sens négatif quand je l’emploi. Chez Mauriac, certes l‘écriture n’est pas celle d’aujourd’hui, elle n’a pas vieilli, elle est stylée, dans une langue qui n’est plus celle de nos jours, et pour moi, c’est là une des grandes qualités de ses livres.
je dis "vieilli" car je voulais faire relire des classiques à mes adolescents qui lisent peu (petit fils) et j'ai eu un franc succès avec Maupassant, j'ai continué avec Candide comme ça marchait j'ai voulu essayé Mauriac mais je ne me voyais pas leur faire lire cette langue.
J'avoue je n'ai pas essayé, c'est pour cela que j'ai dit cela
Je ne pense pas que la langue (c’est-à-dire l’écriture, n’est-ce pas ?) les gênerait, mais plutôt les sujets abordés et leur traitement. C’est aussi pourquoi, un écrivain comme Maupassant est beaucoup plus abordable, ton et sujets plus légers voire fort plaisants à lire (même si derrière la forme, il y a parfois des sujets graves…). Mauriac demande une certaine expérience de la vie pour en saisir la profonde noirceur.
J'avoue n'avoir guère gardé de souvenir de cette lecture, faite en compagnie d'Athalie, que j'avais pourtant appréciée, si j'en crois mes propres mots :
"Les Anges noirs" est un roman sur lequel plane une sourde tension. L'auteur y assemble des personnages dont la plupart ont comme point commun d'être mal aimés, avec pour résultat une accumulation explosive de frustrations et de détresses. Cet entrelacement de destins malheureux confère au récit sa densité, et le rend très prenant."
Nous sommes d’accord, tu écris « et le rend très prenant » qui renvoie à mon « se lit comme un thriller » !
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