Bernard Waller : Dubalu
10/06/2024
Bernard Waller (1937-2010) est un romancier et auteur dramatique français. Représentant pendant près de trente ans d’une grande maison d’édition. Découvert par Raymond Queneau à la fin des années soixante, il se fait connaître par des récits à la fantaisie allègre. Il a laissé neuf romans dont ce Dubalu (1961) qui vient d’être réédité.
Francis Dubalu, marié et deux jeunes enfants, est représentant de commerce pour la maison Breganti, « travail ennuyeux que de toujours jouer au saute-ruisseau, de toujours jouer de la sympathie (…) de toujours paraître optimiste, enthousiaste. » Enfin, son patron lui confie une mission de prospection en province, tous frais payés, à lui enfin les grands espaces loin de Paris. Et le lecteur de suivre notre Dubalu au cours de cette journée s’annonçant mémorable. Pour l’entamer, quelques coups de blanc chez Frachtou « Vins-Liqueurs-Bois-Charbon » où il lorgne vaguement sur la patronne (« sous la jaquette plus de, certainement, qu’il n’en paraît »), passage rapide au bureau, coquine gentiment avec les dactylos, puis le trajet en voiture, pépère comme un vacancier et l’arrivée dans la ville-cible…
Qui ne connaît pas ce bonheur de lecteur, tomber sur un petit bouquin inconnu de tous et que personne d’autre que vous ne lira (?), dont il n’y a pas vraiment grand-chose à dire, mais que vous considérez comme un petit bijou et dont vous vous garderez de faire la publicité pour qu’il reste l’un des trésors secrets de votre bibliothèque ? Dubalu est de ces livres.
C’est le portrait d’un homme quelconque, exerçant un métier quelconque, lassé d’un mariage où il a été la proie d’une mère et de sa fille, réalisant qu’il mène une vie morne et terne, ce qui l’amène à méditer « sur la stupidité et l’inefficacité de tout ». Jusqu’à ce voyage en province, une bouffée d’air frais, un sentiment de délivrance, loin du train-train quotidien et de la société de consommation, et notre Dubalu de se la péter un peu, plus dans sa tête que dans les faits, méprisant les autres VRP lors du dîner dans la salle de restaurant de son hôtel qu’ils poursuivront par une soirée télévision dans le salon, alors que lui, après avoir bien profiter du repas et du bourgogne, finira sa journée dans un club discret de la ville où tout est possible…
Le texte est très court, très banal en apparence mais subtil en réalité, servi par un style d’écriture extrêmement original (« Son premier réflexe alors, aller à la fenêtre, l’ouvrir pour y regarder par. ») tout en délicatesse, avec m’a-t-il semblé un clin d’œil à Céline dans le chapitre du dîner à l’hôtel (« Qu’est-ce qu’il veut savoir, dire qu’il va falloir lui parler, sympathiser, bien de ma faute, n’avait qu’à pas. »), tout en usant d’une coquetterie typographique avec d’incessants aller à la ligne en cours de phrase sans mettre de majuscule.
J’ai bien aimé mais que cela reste entre nous.
« tel était donc le miracle de la télévision qui rassemble aux veillées des réunions joyeuses et attendries, comme l’âtre de nos aïeux,
qui remplace sur les toits les cheminées désormais inutiles par des antennes d’acier à double branche,
et transforme l’antique charité des bas de laine tricotés au coin du feu en élans de solidarité par chèques barrés qu’on envoie au compte courant postal dont le numéro est donné sur l’écran, lors de chaque désastre national ou international,
dont tous, à la même seconde, ont l’image aux yeux, »
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