Edith Wharton : Le vice de la lecture
17/10/2012
La Petite Collection des Editions du Sonneur a été créée pour que puissent exister des textes trop courts pour être publiés dans un grand format, mais trop grands pour ne pas être édités, nous prévient l’éditeur. Car effectivement il s’agit non pas d’un « livre » (une trentaine de pages) mais d’un article paru en 1903 dans la North American Review pour la première fois et aujourd’hui exhumé de l’oubli.
Edith Wharton (1862-1938) vient de la haute bourgeoisie New Yorkaise, voyage en France et en Angleterre où elle rencontre Gide, Cocteau, Henry James et d’autres artistes. En 1920 elle est la première femme à obtenir le prix Pulitzer avec Le Temps de l’Innocence. Son œuvre s’étale sur une quarantaine de romans, des poèmes, des critiques et des ouvrages sur la décoration des jardins.
En ce temps de rentrée littéraire, selon la formule consacrée à l’avalanche de livres qui déboulent sur les étals des librairies, la lecture de ce Vice de la lecture ne pouvait pas mieux tomber. Il s’agit donc comme je l’ai dit, d’un article critique consacré à la lecture et surtout aux lecteurs. Edith Wharton estime qu’il y a deux sortes de lecteurs, le « lecteur mécanique » et le « lecteur né ». Le premier lit ce que nous nommerions aujourd’hui les best-sellers, les livres dont on parle, bref les livres qu’il faut avoir lus pour ensuite pouvoir en parler en société, alors que le second serait un vrai lecteur, réellement intéressé par le texte et seul à même de le comprendre. De cette catégorisation il en découle selon elle, que le « lecteur mécanique » est une des causes de la mauvaise littérature, puisque c’est lui qui lit les écrivains médiocres ; les lire c’est les faire vivre, les faire vivre c’est les pousser à « commettre » de nouveaux livres de piètre qualité que le « lecteur mécanique » s’empressera de lire, etc. la boucle est bouclée.
On voit que l’auteur a une vision assez élitiste de la lecture et qu’elle ne manque pas de l’écrire « Lire n’est pas une vertu, mais bien lire est un art que seul le lecteur-né peut acquérir ». Un texte qui fait grincer des dents, qui peut lancer un débat mais qui ne s’engage pas sur de bonnes voies.
« C’est lorsque le lecteur mécanique, armé de la haute idée de son devoir, envahit le domaine des lettres – discussions, critiques, condamnations ou, pire encore, éloges – que le vice de la lecture devient une menace pourla littérature. Alorsmême qu’il pourrait sembler d’un goût douteux de s’offusquer de cette intrusion motivée par de si respectables motifs, n’eût été cette incorrigible suffisance de lecteur mécanique qui fait de lui une cible légitime. L’homme qui joue un air sur u orgue de Barbarie ne cherche pas à soutenir la comparaison avec Paderewski ; le lecteur mécanique, lui, ne doute jamais de sa compétence intellectuelle. Tout comme la grâce mène à la foi, tant de zèle investi pour progresser est supposé conférer une cervelle. »
Edith Wharton Le vice de la lecture La Petite Collection – Editions du Sonneur
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