Edith Wharton : La pierre d’achoppement
17/10/2012
Edith Wharton de son vrai nom Edith Newbold Jones est née à New York en 1862 et décédée en France à Saint-Brice en Seine-et-Marne en 1937. Romancière, elle s’attachera à décrire les mœurs de la haute société américaine.
Ce roman, La pierre d’achoppement, est paru en 1900 au tout début de sa carrière. Pour être plus exact, il s’agit de ce que les anglo-saxons nomment une novella, c'est-à-dire un texte plus court qu’un roman mais plus long qu’une nouvelle, ici 130 pages dans cette édition de poche.
Stephen Glennard est avocat, amoureux d’Alexa Trent il n’ose se déclarer car il estime que ses revenus ne sont pas la hauteur de ses prétentions. La lecture d’une annonce dans un journal va le pousser à vendre – un bon prix et incognito – à un éditeur, un lot de lettres d’une correspondance oubliée dans un tiroir depuis plusieurs années, entre lui et Margaret Aubyn, écrivaine célèbre aujourd’hui décédée. Enrichi, il épouse Alexa. Le succès et les ventes du livre créent une polémique publique, de nombreux lecteurs critiquant le fait que des lettres à caractère privé puissent être livrées en pâture au public. Il prend alors conscience de sa forfaiture, « Glennard n’avait jamais pensé qu’il était un héros ; mais il avait été certain d’être incapable de bassesse », et son tourment va le pousser, par faiblesse de caractère, à se fâcher définitivement avec l’ami qui lui a servi d’intermédiaire pour négocier la vente ainsi qu’à pourrir ses relations avec sa femme Alexa qui pourtant ignorait qu’il fut impliqué dans cette affaire.
Le texte est magistral car très riche et à multiples entrées malgré son peu de pages. N’oublions pas qu’il est paru en 1900 et que déjà à cette époque se posait la question de la confidentialité de la chose écrite. « Comment la moindre lettre peut-elle être du domaine public quand elle n’a pas été écrite pour le public ? » s’interroge une lectrice du livre de Glennard. Une question qui reste encore très moderne. Roman psychologique aussi, car dès que l’avocat va réaliser ce qu’il a mis en branle, sa clairvoyance va s’en trouver brouillée, le livre n’étant pas paru sous son nom, il ne sait pas qui « sait » ou ne « sait pas» qu’il est derrière tout cela. A partir de là, il invente ou subjective, prêtant à tort ou à raison des pensées et des actes à son ami et à sa femme qui théoriquement ne sont pas au courant de son rôle dans cette correspondance divulguée. A trop se prendre la tête, il va se brouiller avec l’un et manquer de peu la rupture avec l’autre. En tout état de cause, même si la fin n’est peut-être pas aussi funeste qu’on aurait pu le craindre, les rapports entre le mari et sa femme ne seront plus jamais les mêmes. Autre découverte douloureuse pour Glennard, c’est une fois morte que Margaret Aubyn lui est plus proche que vivante, « cette évocation inopinée semblait la rendre plus proche qu’elle ne l’avait jamais été de son vivant. »
Ne vous laissez pas décourager surtout au début du livre, par le style d’Edith Wharton, ses longues phrases semblent parfois biscornues au lecteur d’aujourd’hui, quand vous en aurez saisi le rythme et pris par le poids des mots et du thème, vous adorerez ce remarquable petit roman.
« Il arrive que les maris, qui sont notoirement inopportuns, meurent aussi de manière inopportune, et telle fut la revanche que Mr Aubyn, près de deux ans après qu’elle fut revenue à Hillbridge, prit sur son épouse offensée. Il mourut au moment précis où Glennard commençait àla critiquer. Nonqu’elle l’ennuyât ; elle faisait bien pis – elle lui faisait sentir son infériorité à lui. L’impression d’égalité mentale avait été gratifiante à son ambition brute ; mais à mesure que sa connaissance de lui-même s’affirmait, la compréhension qu’il avait d’elle augmentait également ; et s’il arrive à l’homme d’être indirectement flatté par la supériorité morale de la femme, l’ascendance mentale de cette dernière est atténuée par l’absence d’un pareil hommage oblique à ses facultés à lui. Admirer d’en bas est une attitude qui fatigue les muscles ; et c’était de plus en plus l’opinion de Glennard que la cervelle, chez une femme, devait être purement et simplement l’opposé de la beauté. »
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