Bukowski : Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau
30/10/2012
Charles Bukowski (1920-1994) est un écrivain américain d’origine allemande. Après avoir fait mille métiers, de postier à employé de bureau, connu la misère et la prison, il se lance dans l’écriture de poèmes puis de romans et nouvelles. Buveur et coureur de filles, les téléspectateurs se souviennent de sa sortie du plateau de télévision où il était l’invité de Bernard Pivot en 1978.
Bukowski et moi c’est une vieille histoire, puisque j’ai encore dans ma bibliothèque son premier bouquin paru en France, Mémoires d’un vieux dégueulasse sorti en 1977 dans la collection Speed 17 et traduit par Philippe Garnier. Je l’ai beaucoup lu par la suite (à l’exception de ses poésies, genre que je ne prise guère) et durant de nombreuses années, mais il y a aussi longtemps que je ne pensais plus à lui, jusqu’à ce que je tombe un peu par hasard sur ce petit bouquin au titre bien trop long, Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau paru chez nous en 1999.
Il s’agit d’un journal – auquel il ne s’est résolu que « sous la pression d’un tiers » - couvrant la période d’août 1991 à février 1993. Le vieux Buk est presque arrivé au bout de la route, « la mort s’approche, je sens déjà son souffle », il a soixante et onze ans, sa santé n’est guère florissante, il a triomphé de la tuberculose, subi une opération de la cornée, souffert l’enfer avec sa jambe droite et un cancer de la peau le ronge. Néanmoins, en tant qu’ancien lecteur je le reconnais aisément, même s’il est moins fringant qu’avant.
Son journal en atteste, ses journées consistent à jouer aux courses et passer du temps sur les hippodromes, puis il rentre chez lui et retrouve ses neufs chats et sa femme avant de s’installer devant son ordinateur et écrire. Il fume toujours, boit nettement moins et le tagada n’est plus guère évoqué comme jadis, sinon comme un souvenir. Si le corps est un peu à la ramasse, l’esprit frondeur et indépendant est toujours là. « Je n’ai jamais placé mes espoirs dans la raison ou dans la justice », les flics ne sont pas ses amis, les gens en général et la connerie humaine l’agacent et il ne supporte pas la promiscuité, seule la musique classique trouve encore grâce à ses yeux aujourd’hui.
Lu superficiellement le bouquin n’est guère palpitant et Bukowski écrit un peu comme on parle, ce qui donne une littérature paraissant quelconque. Si l’auteur m’était inconnu, il est fort probable d’ailleurs que mon jugement en soit resté là, mais je l’ai dit Bukowski est un compagnon de jeunesse, alors j’ai lu derrière les lignes. J’y ai trouvé un homme vieillissant, qui se pose les questions existentielles qu’on se pose à son âge et qui n’aura eu qu’un seul but dans la vie, écrire, toujours écrire.
Il faut néanmoins admettre que le père Buk n’échappe pas aux travers de la vieillesse, il bougonne, regrette les temps anciens, « il m’est impossible de vous dire pourquoi mais tout était différent par le passé », bref, du poivrot macho des jeunes années il est devenu sur le tard un vieux schnock comme on en croise dans les bureaux de tabac ou les troquets de quartier. Une trajectoire logique en somme, mais qui ne m’interdit pas de lui conserver toute ma tendresse.
« A présent, j’ai presque 72 ans. Mes héros s’en sont à jamais allés, et je dois vivre avec mon époque. Avec les nouveaux créateurs, avec les célébrités du jour. Qui me touchent si peu. Je les observe, je les écoute, et je me dis : est-ce donc tout ce qu’ils ont à m’offrir ? «
Bukowski Le Capitaine est parti déjeuner et les marins se sont emparés du bateau Le Livre de Poche avec des illustrations de Robert Crumb
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