Philip Roth : Némésis
01/12/2012
Philip Roth est né le 19 mars 1933 à Newark, dans le New Jersey, son œuvre couronnée de multiple prix en fait l’un des plus grands écrivains américains contemporains. Aujourd’hui il vit dans le Connecticut. Némésis est paru en France, il y a quelques semaines à peine. Ce devrait être aussi son tout dernier roman, l’écrivain ayant déclaré à la presse qu’il arrêtait d’écrire.
Eté 1944. Bucky Cantor, jeune homme sportif et en pleine santé, dirige avec passion un terrain de jeux pour les enfants, au cœur de Newark. Après le bombardement de Pearl Harbour il a tenté de s’enrôler dans l’armée avec ses copains pour combattre en Europe, mais si ses amis ont été recrutés, lui est réformé pour myopie grave. Dépité au plus profond de lui-même, Cantor traine cette déception comme un boulet, une infamie qui le réduit à moins que rien aux yeux des autres ; alors que tous les jeunes partent à la guerre, lui reste ici.
C’est aussi à cette époque qu’une épidémie de polio s’abat sur la région. Maladie mystérieuse en ce temps-là, paralysante et pouvant causer la mort dans les cas les plus graves. Entre les rumeurs, les peurs devant ce mal inconnu, les décès qui commencent à frapper les enfants autour de lui, Cantor s’en prend à Dieu, enrageant devant la mort de ces innocents. Rappelons que dans la mythologie grecque, Némésis représentait la juste colère.
Sa fiancée, Marcia, inquiète pour Cantor, réussit à le faire engager par un camp de plein-air à la campagne, où à ses côtés elle espère l’éloigner des miasmes mortels de la ville. Le jeune homme accepte pour plaire à son amie, mais il prend son départ de Newark comme une désertion. « En essayant par amour de le sauver de Newark, Marcia l’avait amené à se renier sottement ». Il abandonne à leur triste sort les gamins dont il s’occupait, fuyant au loin pour sauver sa vie. Une fois encore il fait preuve de lâcheté, après sa non participation à la guerre, il se sauve devant l’épidémie mortelle. Bis repetita. Du moins, est-ce ainsi qu’il ressent la situation.
Comble du malheur, dans ce camp loin du monde, la polio va frapper. Cantor n’y voit qu’une explication, c’est lui qui y a amené le mal puisqu’il côtoyait les malades à Newark. Un examen médical va révéler qu’il est lui aussi atteint par la polio.
Je ne peux évidemment pas vous raconter en détail la fin du roman, mais il se clôt quarante ans plus tard, sur la vision d’un homme lourdement handicapé, profondément seul, ayant renoncé très vite à vivre, finalement.
Avec ce dernier ouvrage, Philip Roth nous ramène à ses vieux démons, la mort qui rôde et les corps qui subissent l’épreuve du temps qui passe. Ici, le contraste est d’autant plus saisissant que son héros Cantor était un jeune homme particulièrement bien armé physiquement ; mais jeunesse et muscles ne peuvent pas tout, quand la maladie frappe aveuglément, rien ne lui résiste et le corps cède. Reste l’esprit et peut-être est-ce le message délivré par Roth. Cantor est doté d’un grand sens du devoir, très honnête, psychorigide pourrait-on dire, et devant l’épreuve physique qui le touche, il s’enferme dans une camisole psychologique supplémentaire, s’attribuant la responsabilité du cataclysme, abandonnant tout espoir ou envie de vivre « normalement », ce qu’à su faire a contrario, un personnage qui apparaît dans les dernières pages du livre. Dans des circonstances similaires, l’un se détourne de la vie, l’autre la croque à pleines dents. Tout dépend de la manière dont on les appréhende.
Philip Roth nous donne un dernier et très beau roman. Les phrases sont majestueuses, la langue est belle, l’écriture parfaite mais on n’attendait pas moins d’un tel écrivain ayant un palmarès si bien rempli. Les personnages sont très fouillés, les décors très précisément posés, on devine le travail derrière la narration. Le roman se lit très vite et on y prend du plaisir, mais un plaisir plus musical qu’autre chose, la satisfaction de lire une prose élaborée dont chaque mot est une note et chaque phrase un élément d’une douce symphonie. C’est pourquoi je n’irai pas jusqu’à dire que c’est l’un des meilleurs bouquins de l’auteur, car j’avoue que parfois je me demandais où Roth voulait en venir.
« Mais maintenant qu’il n’était plus un enfant, il était capable de comprendre que si les choses ne pouvaient pas être autres que ce qu’elles étaient, c’était à cause de Dieu. Si ce n’était pas à cause de Dieu, de la nature de Dieu, elles seraient autres. Il ne pouvait pas faire comprendre une telle idée à sa grand-mère, qui n’était pas plus apte à ce genre de réflexion que ne l’avait été son grand-père, et il n’avait pas envie d’en parler avec le docteur Steinberg. Bien qu’homme de réflexion, le docteur Steinberg était aussi Juif pratiquant et il aurait pu se sentir offensé par le genre de pensée que l’épidémie de polio inspirait à Mr Cantor. »
Les commentaires sont fermés.