Michel Houellebecq : La carte et le territoire
24/12/2012
Michel Houellebecq, né Michel Thomas à la Réunion, en 1956 selon son acte de naissance ou en 1958 selon lui ! Son nom de plume est le nom de jeune fille de sa grand-mère paternelle qui l’éleva. Michel Houellebecq est poète, essayiste, romancier et réalisateur de cinéma. Depuis la fin des années 1990, il est l'un des auteurs contemporains de langue française les plus connus et traduits dans le monde. En 2010 il reçoit le prix Goncourt pour La Carte et le Territoire, son cinquième roman.
Jed Martin est artiste, d’abord photographe en prenant comme sujet des articles de quincaillerie il obtient une certaine renommée quand il oriente sa carrière vers la photo de cartes routières Michelin (d’où le titre du roman) puis la gloire internationale et la fortune quand il s’attaque àla peinture. Filsd’une mère suicidée quand il était enfant et d’un père architecte, Jed Martin est un solitaire.
Pour une exposition de ses œuvres il est amené à rencontrer l’écrivain Michel Houellebecq, chez lui en Irlande, afin que celui-ci lui écrive le texte de présentation de son catalogue. Sans être amis, les deux hommes vont se revoir et Jed Martin aura l’occasion de lui offrir un de ses tableaux, dans sa nouvelle demeure du Loiret, village où l’écrivain passa son enfance. Quelques temps plus tard, Houellebecq y est assassiné dans des conditions horribles et le peintre participera à l’enquête policière pour retrouver le meurtrier. Les dernières décades de sa vie, Jed Martin poursuit son œuvre artistique en tant que vidéaste avant de s’éteindre rongé par un cancer.
Telles sont en gros, les grandes lignes du roman. Bien entendu Michel Houellebecq ne se contente pas de nous raconter la vie de Jed Martin, son roman fourmille de réflexions et de considérations sur notre monde. Un bouquin très moderne, complètement dans son époque où sont abordées de nombreuses questions soulevées par notre société, de l’euthanasie aux implants mammaires, du rôle du châtiment pour les coupables aux aspects de la crise économique et boursière, rien de ce qui fait notre actualité n’échappe à l’acuité du regard de l’écrivain. Houellebecq sait aussi se faire plus profond quand il évoque le rôle et l’essence de l’artiste à l’œuvre, ainsi que lorsqu’il réfléchit et nous donne son analyse sur l’état de nos sociétés, induit du processus de consommation.
Comme toujours ou presque dans ses romans, on constate sa fascination pour les techniques et la technologie, que ce soit par des extraits de notices ou modes d’emploi cités quasi in extenso, ou bien son amour supposé des voitures – de luxe - et l’examen pointu de leurs mérites respectifs. Ici, on a droit à des explications techniques poussées sur les appareils photo et leur utilisation. D’une façon plus générale, ses descriptions sont toujours très précises et cliniques, qu’il s’agisse d’un lieu ou d’un objet.
Par contre, ce qui à mon sens, distingue cet ouvrage de ses livres antérieurs, c’est son état d’esprit. Certes, on retrouve son trait de caractère consistant à se foutre de la gueule de beaucoup de gens et de choses comme les critiques artistiques, la presse, les people, les bobos, les machos, les femmes et les homosexuels etc. etc. Mais le ton est moins provocant (encore que sa vision des femmes laisse encore un peu rêveur), les critiques moins acerbes. Même le sexe, un domaine où Houellebecq aime bien choquer son lecteur, est beaucoup plus discret dans ce roman. Bien sûr il ne peut s’empêcher de lancer une phrase ou un mot cru mais on reste dans le domaine de l’acceptable pour un prude lecteur. Dans ce roman, Houellebecq semble avoir atteint une sérénité qu’on ne lui connaissait pas, ce que confirme Jed Martin à l’issue d’une rencontre avec l’écrivain personnage du roman, « Il avait l’air heureux ». Prodigieuse mise en abime.
On se régalera aussi de l’intrusion dans son roman, de gens connus comme Frédéric Beigbeder, Jean-Pierre Pernaut ou d’autres dans des situations ne les avantageant pas, et surtout de cet extraordinaire idée de s’être lui-même mis en scène comme un des héros de son propre roman, allant jusqu’à s’assassiner ! Du grand art et de longues pages jubilatoires nous donnant l’impression d’entrer dans la vie de cet écrivain secret.
L’écriture est toujours aussi fluide ce qui en rend la lecture extrêmement confortable et l’irruption imprévue d’un crime avec enquête policière dans le dernier chapitre avant l’épilogue, donne un coup de fouet ultime, un second souffle, au rythme du roman.
Un excellent bouquin, sans contestation possible du moins pour moi, ce qui ne signifie pas pour autant qu’on adhère à toutes ses théories ou visions des choses.
« Qu’est-ce qui définit un homme ? Quelle est la question que l’on pose en premier à un homme, lorsqu’on souhaite s’informer de son état ? Dans certaines sociétés, on lui demande d’abord s’il est marié, s’il a des enfants ; dans nos sociétés, on s’interroge en premier lieu sur sa profession. C’est sa place dans le processus de production, et pas son statut de reproducteur, qui définit avant tout l’homme occidental. »
Michel Houellebecq La carte et le territoire Flammarion
En septembre 2010, le journaliste Vincent Glad découvre que le roman incorpore des extraits de la version francophone de l'encyclopédie Wikipédia sans en mentionner la source. S’ensuit une polémique se terminant en eau de boudin puisqu’en mai 2011, Houellebecq reconnaît son erreur et remercie les contributeurs de Wikipédia.
Dans cette courte vidéo l’écrivain s’explique sur cet incident :
1 commentaire
Comme vous dites, un excellent bouquin. C'est du Houellebecq pur jus et on se régale.
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