Ron Carlson : Cinq ciels
16/01/2013
Ron Carlson est né en 1947, en Utah. Il est l'auteur de plusieurs recueils de nouvelles et de quatre romans qui ont reçu de nombreuses distinctions aux États-Unis. Il enseigne la littérature à l'Université de Californie, à Irvine, et vit à Huntington Beach.
Son premier roman paru chez nous, Le signal, m’avait déçu car il ne reflétait pas du tout les critiques que j’en avais lues avant de le lire. J’hésitais donc à m’engager dans son nouvel opus et c’est grâce au commentaire encourageant d’un lecteur de ma chronique que j’ai finalement ouvert son nouveau bouquin.
Nous sommes dans l’Idaho au cœur des Montagnes Rocheuses, au bord d’un profond canyon. Trois hommes qui ne se connaissent pas travaillent sur un chantier de construction. L’objet du projet en devenir n’est pas immédiatement révélé et ne le sera que plus tard, par touches successives. Tout ce qu’on sait, c’est qu’il agace les gens du coin, comme tout ce qu’entreprend le propriétaire du terrain, Curtis Diff, un homme âgé de soixante-dix ans mais encore plein d’énergie.
Darwin Gallegos est le chef du chantier, il a engagé les deux autres rapidement. Il n’y a pas bien longtemps, il travaillait encore pour le compte de Diff mais ça c’était avant le décès de sa femme. Arthur Kay est un colosse, spécialiste dans son métier, il calcule et prévoit tout. Taiseux, il représente la force tranquille mais sous son aspect serein et calme, il cache une blessure profonde, un décès dont il s’estime en partie responsable. Enfin, le troisième homme, Ronnie Panelli, un jeune gars qui se cherche, marchant sur le fil du rasoir avec la loi à laquelle il a déjà eu à faire.
Le roman va nous montrer comment ces hommes venus d’horizons différents et sans lien commun, vont apprendre à se connaître et à se respecter. Petit à petit, les uns et les autres vont se découvrir, révéler leurs souffrances intérieures et faire de ce ciment partagé, le socle sur lequel se construira leur amitié. Trois hommes qui se reconstruisent, parallèlement à leur chantier qui s’élève. Seuls au milieu de ces grands espaces américains, des hommes rongés intérieurement, trouvent le salut dans l’effort physique qui lave et purifie.
Ron Carlson réussit là, un superbe roman sur l’amitié virile. A la force physique nécessaire pour entreprendre leur œuvre, s’oppose ou s’allie la délicatesse des sentiments, particulièrement chez Kay, ou bien la pudeur entre Ronnie et Traci, une jeune fille dont il fait la connaissance dans le bled voisin.
Le bouquin est écrit dans un style ramassé, fait de phrases courtes mais fortes. Tout comme ces hommes qui parlent peu, se contentant de l’essentiel, Ron Carlson n’écrit que ce qui est nécessaire, ne lâchant des informations qu’au compte-goutte ; que ce soit sur la nature du chantier en cours, que ce soit sur les démons intérieurs de ces hommes ou des bribes de leur passé, l’écrivain n’étale rien de manière ostentatoire, il dessine sous nos yeux des destins, à petites touches, mais parfaitement bien construites.
Un roman poignant et très fort, fait de portraits psychologiques superbes et d’évènements dramatiques sans pathos, donc plus émouvants encore. Un excellent roman qui me réconcilie définitivement avec l’auteur.
« Darwin toucha la tasse de Key avec la sienne et but une gorgée. Les deux hommes restèrent dans les ténèbres muettes. La rivière n’était plus qu’un murmure et le ciel continuait à se peupler d’étoiles. Silencieux sur la mesa embaumant la sauge, ils sentaient la chaleur du whisky dans leur gorge, et pour Key, le silence paraissait une sorte d’équilibre entre une chose et la suivante, un pivot en quelque sorte, aussi solide et important que le poids qui l’accablait. »
4 commentaires
Même l'univers assez masculin de ce roman ne m'a pas empêchée de l'adorer. Subtil, un peu taiseux, vraiment une belle réussite, qui devrait devenir un classique;
J'en ai profité pour faire un petit tour dans votre blog, surtout en Nature writing (j'ai quasiment lu tout ce qui est disponible) et sur vos 5 coups de coeur j'en ai lu trois et viens d'emprunter un 4ème.
Ajoutons que j'ai même lu La vie d'Henri Brulard, une belle surprise que j'ai dévorée, Stendhal est un de mes chouchous.
Nous avons donc beaucoup de points communs en littérature. J'aime beaucoup la "Nature writing" comme ils disent, mais j'essaie d'être éclectique dans mes lectures comme vous avez pu le constater en parcourant mon blog. A bientôt peut-être, ici ou chez vous...!
Ravi de constater que cette oeuvre vous ait plu! On en avait parlé sur Amazon, il me semble!
Par contre je ne me souviens plus si je vous ai déjà signalé le formidable livre de Lance Weller "Wilderness" chez Gallmeister, un grand premier livre!
PS : j'attend avec impatience le prochain David Vann, annoncé chez Gallmeister pour mars!
Passionné de nature-writing, mais ca vous vous en êtes sans doute aperçu!
C'est parce que vous m'en aviez parlé, que je l'ai lu, car j'avais été un peu déçu par le précédent "Le Signal". Quant à Lance Weller, son bouquin est déjà noté dans mon calepin des livres à lire....
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