Amélie Nothomb : Barbe bleue
29/01/2013
Amélie Nothomb, née en 1967 à Kōbe au Japon, est une écrivaine belge francophone qui partage sa vie entre la France et la Belgique. Paru en 2012, Barbe bleue est son dernier roman.
Le titre l’indique et Amélie Nothomb ne cherche pas à finasser, elle nous propose avec ce nouveau roman, une version toute personnelle du fameux conte de Charles Perrault.
Son excellence Don Elemirio Nibal y Milcar, vieux beau d’origine espagnole mais seulement âgé de quarante quatre ans, sous-loue une vaste chambre de son hôtel particulier. De nombreuses femmes se pressent pour répondre à l’annonce, attirées par la réputation sulfureuse du propriétaire, les huit précédentes colocataires ayant mystérieusement disparu, mais c’est Saturnine Puissant, vingt-cinq ans, ignorant tout de la situation jusqu’alors, qui est choisie.
La demeure est grande, la chambre plus que confortable et le loyer particulièrement modique au regard des lieux et du chic quartier parisien. Elle aura tout loisir d’y circuler, voire de dîner avec le propriétaire mais il lui est interdit d’entrer dans une pièce bien particulière et qui n’est pas fermée à clé comme le lui précise son hôte. Le Grand d’Espagne loge ici seul, avec Melaine son domestique, Hilarion Grivelan le secrétaire et le chauffeur.
Une fois les bases posées, relativement proches dans les grandes lignes de celles du conte homonyme, Amélie Nothomb entre en jeu et déploie sa propre vision de l’affaire. Un roman tout en dialogues, finalement assez proche du théâtre, une sorte de huis-clos où vont s’affronter Don Elemirio et Saturnine en une joute intellectuelle. La demoiselle mène les débats, criant haut et fort qu’elle ne craint pas son logeur, le poussant à s’expliquer sur ce qui est advenu à ses locataires disparues.
Un jeu du chat et de la souris où l’on manie les paradoxes, on lâche des demi-vérités. Ces conversations menées tambour battant vont finir par les rapprocher, et si Elemirio suit son plan sans faillir depuis le début, c’est Saturnine qui succombera contre toute attente à la passion. Pour autant le roman n’est pas encore terminé et je vous laisse découvrir la fin ultime.
Il y a un ton très particulier chez Amélie Nothomb qui rend ses lecteurs accro à ses livres et à son univers. Le style est toujours enlevé, pétillant comme ce champagne dont elle vante couramment les mérites dans ses livres, « vous qui êtes obsédé par l’or, ne savez-vous pas que le champagne en est la version fluide ? ». L’humour et la dérision en rendent la lecture joyeuse, même si comme ici le lecteur est en droit d’attendre une mort annoncée, avant le point final.
Et au milieu de ce gentil délire où l’on ne s’encombre pas de crédibilité, il y a toujours ce regard original de l’écrivaine qui laisse entrevoir la possibilité de choses cachées sous les faits les plus banaux. Ajoutez à cela, un nuage de culture finement disséminée dans le texte et de réflexions profondes et intéressantes livrées en une courte phrase (le rôle de la photographie, de l’ascèse, l’importance des couleurs, quelle est la juste frontière entre l’aimée et soi, etc.).
Je crois avoir cité tout ce qui fait qu’on a entre les mains un bon petit roman.
« - Je n’ai pas choisi l’asperge au hasard, dit don Elemirio. Vous ressemblez à une asperge. Vous êtes longue et mince, votre parfum n’en évoque aucun autre, et rien sur terre n’égale l’excellence de votre tête. Le compliment, qui l’aurait exaspérée la veille,la troubla. Qu’il était odieux d’être amoureuse ! Elle se sentait à vif, à la merci de tout. Quelle poisse ! Elle se réfugia dans la flûte de champagne, en espérant que le vin ne diminuerait pas davantage ses défenses naturelles. »
Amélie Nothomb Barbe bleue Albin Michel
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