Virginia Woolf : Nuit et Jour
13/02/2013
Virginia Woolf (1882-1941) est une femme de lettres anglaise et une féministe qui durant l'entre-deux-guerres fut une figure marquante de la société littéraire londonienne. Sa vie est un roman tragique, la mort de sa mère, décédée de la grippe, et celle de sa demi-sœur Stella deux ans plus tard, entraînèrent Virginia dans sa première dépression nerveuse. La mort de son père en 1904 provoqua son effondrement le plus inquiétant et elle fut brièvement internée. Virginia Woolf se suicide en 1941 après avoir laissé ce mot, « J'ai la certitude que je vais devenir folle … Je commence à entendre des voix et ne peux pas me concentrer. » L'étude de sa vie et de ses œuvres par les psychiatres contemporains conduit à penser qu'elle présentait tous les signes de ce qu'on nomme aujourd'hui « trouble bipolaire » (anciennement psychose maniaco-dépressive), maladie mentale alternant des épisodes de dépression et d'excitation, souvent associée avec une grande créativité mais conduisant bien des personnes au suicide.
Nuit et jour date de 1919 et n’est que le second roman de Virginia Woolf qui nous donnera plus tard Mrs Dalloway ou La Promenade au phare, œuvres plus connues.
Résumer le roman est assez cruel, Mary aime Ralph Denham qui lui, aime Katherine Hilbery, mais William Rodney alors qu’il doit épouser Katherine, laquelle ne l’aime pas, s’aperçoit qu’il lui préfère Cassandra sa cousine !
Mis à plat aussi sèchement, le bouquin ne devient plus qu’une simple histoire d’amour, roman à l’eau de rose qui j’imagine trouverait sa place dans la collection Harlequin ou un synopsis pour séries sentimentales bas de gamme programmées en milieu de journée à la télévision. Bien entendu ce n’est pas que cela, mais ce sont aussi ses limites. Du moins pour moi.
Le lecteur potentiel doit faire abstraction ou prendre en compte plusieurs éléments avant de se lancer dans ce roman de cinq cents pages. Primo, il s’agit d’un roman d’amour avec la connotation légèrement péjorative qu’elle sous-tend, ou bien plus aimablement, dans le genre littéraire de Jane Austin. Secundo, écrit au début du XXe siècle et malgré ses idées novatrices, il reflète les rapports entre hommes et femmes de cette époque, ce qui demande un effort d’adaptation ; par exemple, bien qu’il ne s’agisse que d’amour durant plusieurs centaines de pages, pas un seul baiser chaste n’est échangé, le seul geste intime arrive page cinq-cent-vingt-cinq « …William tout aussi ému, lui prenait la main et la portait à ses lèvres. » Ce n’est pas une critique bien évidemment, mais ça dépayse ! Donc, si vous êtes prêt à entrer dans cet univers qui ne manque pas de charme néanmoins, continuons.
L’intrigue du roman se déroule à Londres. Katherine Hilbery, jeune femme belle et intelligente, vit avec ses parents dans une grande maison typique de la société bourgeoise et traditionnelle de l’époque. Katherine et sa mère, tentent d’écrire une biographie du grand-père, célèbre poète en son temps. La tradition familiale serait donc littéraire, mais Katherine en secret, étudie les mathématiques, symbole d’une rébellion intellectuelle. Elle est un peu perdue, partagée entre ses responsabilités de gestion de la maison et la sauvegarde des traditions incombant à leur position sociale, et les élans réfrénés de sa jeunesse qui sent souffler le vent d’une nouvelle époque. De son côté, Ralph Denham issu d’un milieu moins aisé et responsable d’une famille qui n’a plus de père, travaille dans un bureau d’avocats appartenant au père de Katherine et écrit à ses moments perdus.
Les rapports sentimentaux entre tous les personnages sont souvent pénibles à suivre et relèvent du yoyo, je t’aime/quittons nous, je ne t’aime pas/alors marions nous, tergiversant en permanence, passant de la déclaration d’amour voilée à la rupture en une seule phrase. Je ne conteste pas la plausibilité, le sentiment amoureux est une chose aussi étrange que mystérieuse et Virginia Woolf le dissèque avec maestria allant au fond du fond, mais trop c’est trop, du moins pour moi.
Par contre en arrière-plan on peut y lire et c’est là que se trouve le réel intérêt de ce livre à mon sens, la naissance programmée d’une nouvelle société faite de l’éclosion des désirs émergents des jeunes hommes et femmes surtout, de cette époque. Virginia Woolf aborde le thème du vote pour les femmes avec Mary Datchett, une militante qui sacrifiera son amour à la cause, convaincue qu’une femme doit travailler et être indépendante.
L’autre thème, central celui-ci, le mariage. La femme est-elle obligée de se marier pour exister ? Quelle est la place de l’amour dans le mariage et même, doit-on être amoureux pour se marier ? Katherine, jeune femme moderne, le déclare tout de go à sa mère « Nous voulons nous voir aussi souvent que nous en aurons envie, mais rester libres ».
Un roman qui recèle des questions essentielles, dans une tonalité mélancolique le plus souvent, même si parfois un soupçon d’humour britannique très discret surgit avec le personnage de la mère de Katherine. Ombres et lumières, nuit et jour, un roman facile à critiquer négativement quand on l’aborde superficiellement mais qui néanmoins nous en dit beaucoup sur une époque alors en pleine mutation.
« - A quoi sert d’amasser de l’argent et de travailler dix heures par jour dans un bureau ? Vous comprenez, quand on est jeune, on a tant de rêves en tête que l’on attache peu d’importance à ce que l’on fait. Et si l’on a de l’ambition, tout va bien ; on a, du moins, un motif de continuer. Mes raisons ont cessé de me satisfaire : peut-être n’en ai-je jamais eu. C’est seulement maintenant que j’en prends conscience. D’ailleurs, quelle raison avons-nous vraiment de faire une chose plutôt qu’une autre ? Après un certain âge, il devient impossible d’être dupe. »
Virginia Woolf Nuit et Jour Points
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