Ron Rash : Serena
20/02/2013
Ron Rash, né en Caroline du Sud en 1953, titulaire d’une chaire à l’Université, écrit des poèmes, des nouvelles et des romans. Son premier roman paru en France en 2009, Un pied au paradis, a fait forte impression et Serena en 2011, l’impose comme l’un des grands écrivains américains contemporains.
Le roman est paru aux Editions du Masque, classé chez les libraires au rayon Polars, mais bien que je n’aie aucun mépris pour ce genre littéraire, il est largement au-dessus de ce genre. Pour la forme, on pourrait le comparer à un cocktail 2/3 de Nature Writing et 1/3 de Polar, mais même ainsi, on sous-estimerait le bouquin.
L’action se déroule dans les années 30, dans les montagnes de Caroline du Nord. George Pemberton, un riche exploitant forestier vient d’épouser Serena, une jeune et belle femme de son âge, sur un coup de foudre puissant après leur rencontre à Boston. A peine marié, le couple s’installe dans leur demeure aux abords du chantier de coupe de bois. La vie est rude et très dure pour les bûcherons qui y travaillent. La mort frappe régulièrement, les accidents du travail plus fréquents encore.
Très vite Serena s’impose comme une femme énergique, connaissant parfaitement le métier que lui avait enseigné son père, lui-même exploitant, décédé depuis. En quelques actions et décisions fortes, elle impose son autorité et sa poigne sur tous ces hommes qui pourtant en ont vu d’autres. Même, les associés plus âgés de son mari, Buchanan et Wilkie, n’osent piper mot devant elle. Serena est gonflée d’une ambition démesurée, la Caroline n’est qu’un terrain de jeu financier pour elle ; l’exploitation du bois ici, ne doit être qu’un tremplin pour son grand rêve, engranger des bénéfices avant de s’attaquer aux forêts du Brésil où déjà elle envisage l’avenir de leur couple.
George Pemberton n’est pas un tendre, mais sa femme, par son machiavélisme et son ambition insatiable qui lui interdisent toute sentimentalité, s’avère une meneuse d’hommes hors pair. Par amour et subjugué par son énergie dévorante, Pemberton tombera sous sa férule. Dès lors plus rien ne pourra arrêter l’ignoble héroïne dans sa marche triomphale.
Pour obtenir les terres couvertes de forêts qui risquent de devenir parc national, le couple n’hésitera pas à corrompre les élus et Serena, sans broncher, enclenchera la vitesse supérieure avec le meurtre de tous ceux qui se dresseront devant elle. Pemberton et Serena tremperont leurs mains dans le sang en une sorte de pacte faustien, avant de refiler leurs basses besognes à un sicaire à la solde de Serena. La Justice, achetée, n’y pourra rien, seule la vengeance, tardive et mangée froide, apportera in fine, ce que le lecteur attendait depuis près de quatre cents pages.
Dès les premières lignes du livre vous savez que vous êtes devant une pépite (voir l’extrait, en fin de chronique). Un roman d’une ampleur magistrale, tant par le style que par le fond. L’écriture est somptueuse et précise, Ron Rash connaît parfaitement la nature et tout ce qui s’y rattache ainsi que le métier de bûcheron, les détails les plus divers truffant le texte, apportent cette touche de véracité qui nous fait voir, plus que lire. La chasse à l’ours, l’élimination du raton-laveur dans le poulailler, pour ne citer que ces deux passages, sont superbes et atroces tout à la fois.
Il y a de l’antique dans ce roman. Une sorte de tragédie grecque, avec ce groupe de bûcherons revenant régulièrement dans le texte, commentant les faits et gestes des Pemberton ou les ellipses de la narration, comme le ferait un chœur dans les tragédies d’Eschyle ou Sophocle. La mort omniprésente s’abat sur les hommes, qu’elle soit d’origine accidentelle dans des accidents du travail ou causée par la volonté démoniaque dela sulfureuse Serena, qui parcourt le roman à cheval sur son cheval blanc avec un aigle dressé au poing. Mais Ron Rash est aussi un moderne, son roman est une dénonciation et un cri de désespoir contre les déforestations massives qui laissent les terres mortes, un crime contre l’humanité.
Je crois pouvoir écrire des pages sur ce magnifique roman, alors pour faire court, je n’ai qu’un conseil, lisez-le !
« Lorsque Pemberton regagna les montagnes de Caroline du Nord, après trois mois à Boston où il était parti régler la succession paternelle, parmi les personnes qui attendaient son train, sur le quai de la gare, se trouvait une jeune femme enceinte de ses œuvres. Elle avait auprès d’elle son père qui, sous sa redingote défraîchie, était armé d’un couteau de chasse affûté le matin même avec beaucoup de soin, de façon à pouvoir l’enfoncer aussi loin que possible dans le cœur de l’arrivant. »
2 commentaires
J'ai lu deux autres romans de Rash et à chaque fois le mot tragédie antique me revenait à l'esprit; Une sorte de "destin", de "fatalité". J'ai préféré à Serena Un pied au paradis.
Bonnes lectures!
Bonjour Keisha ! Je note la référence de ce bouquin dans mon calepin car si Ron Rash peut faire mieux encore que "Serena", ça vaut certainement le coup de le lire. Merci pour ce conseil.
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